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gens s’arrêtent en hochant la tête d’un air significatif, de même qu’on cherche volontiers du regard le tableau de M. Cabanel ou celui de Léon Benouville, ravi dans la fleur de son talent, car il y a un véritable charme à se reporter aux débuts d’un artiste, à surprendre dans leur fraîcheur ses premières inspirations, à interroger ses essais déjà décisifs et riches de promesses.

L’auteur du bas-relief couronné était M. Perraud, né en 1819, à Monay, dans le Jura. Sa vie avait été jusque-là ce qu’est celle des artistes convaincus qui sont fils de leur travail et luttent contre des obstacles dont le plus cruel n’est pas la pauvreté. Les romans et le théâtre représentent les ateliers comme le séjour éternel du rire et de la folie. Il en était peut-être ainsi du temps où toute la France chantait, où la gaieté n’était point proscrite, où les caractères avaient encore de la bonhomie, les mœurs de la simplicité. Aujourd’hui notre société est triste, somptueuse, guindée comme le bourgeois-gentilhomme dans ses habits dorés ; on ne rit plus, parce que les fronts sont courbés vers les intérêts matériels. Quand on voit de près les artistes, on sait combien sont sérieux ceux qui arrivent. La foule des concurrens devient tous les jours si épaisse, qu’il faut, pour la percer, se dépouiller de sa jeunesse et renoncer aux sentiers fleuris : le plaisir en effet prend un temps qui serait perdu pour la lutte. Les biographes peuvent s’épargner désormais la peine de raconter les débuts difficiles des artistes célèbres : s’ils sont parvenus, c’est qu’ils ont souffert.

Le trait caractéristique de la première œuvre de M. Perraud est la sensibilité. Cette qualité ne s’y montre pas seulement en germe, elle y apparaît pleinement épanouie, elle nous explique à l’avance le sculpteur, elle donne la clef de son originalité. Autant que la sculpture le comporte, un sentiment vrai et pénétrant est répandu sur l’ensemble de la composition. Les personnages secondaires en ont leur part, mais l’expression est concentrée avec un rare bonheur sur les deux héros. Phalante, assis, reçoit l’urne funéraire que Télémaque tient encore ; il se penche sur elle et mouille en même temps de ses larmes la main homicide et généreuse qui a conservé les cendres d’un ennemi. Télémaque debout, dans une attitude héroïque, mais naïve, ne peut s’empêcher d’être touché d’un tel spectacle ; il détourne la tête en portant la main à ses yeux.

Le séjour de Rome et l’impression produite par les chefs-d’œuvre si divers au milieu desquels on y vit fortifièrent le talent de M. Perraud sans en modifier le tempérament ni les préférences. Il sera encore entraîné vers les sujets pathétiques, où se peuvent épancher librement toute la chaleur, et toute la délicatesse d’une âme tendre. Le bas-relief des Adieux, que l’on a pu revoir à l’exposition universelle de 1855, prouve que ni les graves leçons de l’antiquité, ni