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Italie. Il est bon que l’Espagne redevienne puissance de premier ordre en même temps que l’Italie ; il est bon que les deux péninsules possèdent des marines assez fortes pour s’équilibrer au besoin, et au besoin équilibrer les autres. On semble ne l’avoir pas encore remarqué, la rupture de la fédération américaine peut jeter la perturbation la plus profonde dans ce que l’on appellerait volontiers l’assiette maritime du monde. Il s’était insensiblement créé un droit maritime nouveau à l’abri de ce tiers pavillon américain, toujours si fièrement jaloux de son indépendance. Pour la sauvegarde des neutres, aucun protocole ne vaudra jamais l’existence d’une grande puissance navale placée en dehors des belligérans. L’Europe n’eût point été affamée durant les luttes gigantesques entre la France et l’Angleterre, si l’Union américaine se fût dès lors trouvée dans la pleine expansion de sa force maritime. Or il est bien permis de se demander aujourd’hui si le développement de la marine américaine n’est pas pour longtemps compromis, si son existence même n’est pas menacée. Il y a donc un intérêt de premier ordre, non pas seulement pour la politique générale de la France, mais encore pour la politique générale du monde, à encourager l’essor de l’Espagne comme puissance maritime, et ce qui servira le mieux cet essor, c’est son extension comme puissance coloniale.

Ce sont là des rêves, on le dira peut-être, et nous l’accordons ; mais ne vaut-il pas mieux, au risque de passer pour aventureux, diriger ses regards vers un avenir un peu lointain que de se retourner toujours vers le passé ? Il fut un temps où tout déchirement entre colonie et métropole obtenait les applaudissemens du libéralisme européen. Aujourd’hui une politique plus vraiment libérale tend à prévaloir. Pour tout esprit qui veut être de son temps, la meilleure émancipation coloniale est celle du Canada et de l’Australie, jouissant d’une véritable autonomie à l’ombre du pavillon glorieux de leur métropole. Peut-être viendra-t-il un moment où, arrivés à la pleine virilité sociale ; ces grands feudataires trouveront encore trop lourd le dernier lien de suzeraineté qui les retient à la mère-patrie ; mais alors, soyons-en sûrs, c’est que les temps seront venus où la séparation pourra s’opérer sans déchiremens et sans violences, les temps prévus par l’un des hommes d’état les plus éminens de la Grande-Bretagne, lorsque, dans un exposé de politique coloniale resté célèbre, il a prononcé ces nobles et sages paroles : « Que nos colonies augmentent en richesses et en population, et quoi qu’il arrive de ce grand empire, nous aurons la consolation de dire que nous avons contribué à la civilisation et au bonheur du monde. »


R. LE PELLETIER DE SAINT-REMY.