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population dominicaine pour avoir pris cette résolution, si un jour la partie française s’avisait de suivre son exemple ? Et pourquoi ne pas avouer que cette éventualité est une de celles qui frappent le plus particulièrement dans cette question ? Oui, nous sommes convaincu que la France recueillera un jour de ce côté ce que son généreux libéralisme a depuis longtemps semé. Ce n’est pas en vain qu’elle se montre de tous les pays le moins exempt du préjugé de la couleur ; ce n’est pas en vain que l’esclavage une fois aboli dans ses colonies, elle s’est empressée d’appeler à la dignité des fonctions publiques tous ceux de la race naguère avilie qui s’étaient d’avance émancipés par l’éducation. Il n’y a, croyons-nous, aucune témérité à prévoir qu’il arrivera un jour où, sans secousse, sans violence, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue fera reparaître les couleurs de la mère-patrie sur le sommet de ses édifices et appellera dans ses rades la station navale des Antilles françaises. Supposons que ce double mouvement s’accomplisse : voilà les ressources financières et administratives de deux grands peuples rendues dans des conditions nouvelles à l’un des plus beaux pays du monde ; voilà la civilisation de l’Europe qui, amendée par la longue, mais juste expiation des fautes commises, reprend possession d’une terre que seule elle peut aujourd’hui féconder. Que l’on se place à ce point de vue, et on trouvera un double intérêt dans les dernières considérations qu’il reste à dégager de ce rapide exposé.

En quoi le retour du territoire oriental de Saint-Domingue à l’Espagne porte-t-il atteinte au droit international résultant des faits historiques qui viennent d’être résumés ? Nous comprendrions jusqu’à un certain point les protestations du gouvernement de Port-au-Prince, si ce retour à la mère-patrie s’était opéré durant la période d’annexion de vingt-deux ans dont nous avons parlé. Et encore, puisque cette annexion n’avait été qu’une « conquête des cœurs, » comme on l’a si heureusement dit, il y aurait lieu de se demander si elle constituait une union indissoluble, une union fédérale dans le sens que les déclarations de M. Lincoln précisent aujourd’hui pour le besoin de sa lutte avec les séparatistes du sud. Certes il serait possible d’établir dans les formes une différence bien Sensible entre les deux situations : d’un côté un lien de droit formulé dans une constitution célèbre, connue du monde entier, de l’autre un fait moitié violent, moitié dolosif, sourdement subi plutôt que constitutionnellement accepté ; mais cette discussion conduirait trop loin. Mieux vaut s’en tenir aux actes mêmes de la chancellerie de Port-au-Prince et lui dire que c’est précisément parce que les états de l’Europe ont reconnu l’indépendance de l’état dominicain qu’ils ne peuvent donner efficacement acte au président haïtien de sa protestation solennelle. Cette reconnaissance, faite en dépit des revendications armées de Soulouque, en dépit des réserves écrites de Geffrard, que prouve-t-elle