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il n’y avait rien à créer, il ne s’agissait que de prendre… » Tout existait en effet, jusqu’au crédit extérieur, qui, au moment de la reconnaissance officielle de 1825, présenta cette singularité d’être coté à la Bourse de Paris au-dessus de celui de la France elle-même. Longtemps l’on prétendit que cette reconnaissance diplomatique manquait seule au développement de ces magnifiques élémens de prospérité. Plus tard, lorsque vinrent les premières déceptions, on les attribua à la compression morale qu’exerçait le caractère conditionnel que l’ordonnance de 1825 mettait à cette reconnaissance. La France, toujours faible ou toujours dupe, fit disparaître cette clause résolutoire par le traité de 1838, l’un des actes les moins heureux de la politique du dernier règne. Qu’est-il enfin sorti de cette autonomie définitive si ardemment et si habilement poursuivie ? On peut dire qu’il y a unanimité chez tous les écrivains qui se sont posé cette question, à quelque opinion qu’ils appartiennent : « Les campagnes d’Haïti sont mortes, lisons-nous dans un écrit publié en 1842 : Là où l’esclavage faisait des tonnes de sucre par milliers, on ne fait plus que quelques vivres et du sirop pour en fabriquer du tafia. Le vivace bois de bayaonde couvre de ses épines les carrés de cannes, les prés, les pâturages, désertés par la main de l’homme ; il envahit les bourgs et vient jusqu’au sein des villes croître au milieu des décombres comme pour insulter les citadins… » Une publication qui ne remonte qu’à l’année dernière, et qui sous une forme souvent bizarre présente un excellent aperçu de la situation politique et économique de la république, s’exprime absolument dans le même sens sur cet envahissement de la luxuriante végétation des tropiques, qui semble « un concert ironique de la nature célébrant l’absence du travail. » Mais les voyageurs européens ne sont pas les seuls à constater cette situation. « Qu’on observe bien les faits qui se passent chez nous, disait naguère un journal de Port-au-Prince dans un accès de franchise, et que l’on se demande si en raison de nos premiers pas dans la carrière notre marche ne s’est pas constamment ralentie ; que l’on se demande s’il ne ressort pas de l’état des choses les plus vitales de notre civilisation que le pays est frappé d’immobilité et même de déchéance. »

Si de l’ancienne colonie française on revient à la partie espagnole pour essayer de l’étudier au point de vue économique, on est également frappé de la grande tâche qui s’offre à l’activité humaine et qui attend encore qu’un pouvoir vigoureux sache la remplir. L’audiencia de Saint-Domingue, l’un des plus beaux territoires du Nouveau-Monde, présente une étendue de 3,200 lieues carrées, dont 2,700 de surface plane et 400 de montagnes. Tandis que, plus heureusement douées que celles de l’ouest, les montagnes de la partie orientale offrent presque partout un sol propre à la culture, ses plaines