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ultérieurement arrivées de. La Havane n’ont eu jusqu’ici à le défendre contre aucune agression.

En présence d’une pareille unanimité, le gouvernement espagnol n’avait évidemment pas deux partis à prendre : il a fait diplomatiquement connaître qu’il acceptait cette demande générale d’annexion, et la Gazette officielle de Madrid vient de publier, précédé d’un rapport étendu signé du président du conseil, le décret qui proclame la prise de possession. On peut relever dans ce rapport plus d’une témérité de langage, — par exemple une île espagnole venant déposer aux pieds du trône la souveraineté que la reine lui a reconnue il y a quelques années, puis la plaie de l’esclavage présentée « comme indispensable aux autres colonies, etc. ; » mais on ne saurait lui contester ces deux qualités : qu’il présente un exact exposé des faits, et qu’il est par cet exposé même un éclatant hommage rendu aux principes de droit international que l’on reproche à l’Espagne de violer en cette circonstance.

Tels sont les faits qui ont précédé la situation actuelle dans la partie espagnole de l’île. C’est cette situation même qu’il faut maintenant examiner de plus près, en complétant notre résumé par le tableau de l’ancienne partie française.

En Haïti, le noir règne et ne gouverne pas… Pour qui sait la comprendre, cette saillie de l’un de nos consuls renferme toute la situation : c’est l’antagonisme des Africains et des sang-mêlé, antagonisme qui, dès les premiers jours de l’expulsion des blancs, s’est personnifié dans le noir Toussaint et dans le mulâtre Rigaud, lutte parfois terrible et sanglante, parfois dissimulée et latente, mais toujours réelle, toujours vivace. « Le noir règne et ne gouverne pas, » cela signifie que l’oligarchie mulâtre, qui comprend qu’elle ne peut monter au pouvoir sans être brisée par la démocratie noire, s’épuise en combinaisons pour gouverner par elle et derrière elle. Dès que le mulâtre se révèle, dès qu’il donne signe de vie politique, les prisons s’ouvrent, les hécatombes commencent. On ne saurait croire tout ce que le président Boyer, homme d’une véritable intelligence, déploya de talent, de ruse, nous dirions presque de génie, pour se faire oublier, en un mot pour ne pas gouverner. C’est là le secret de cette léthargie de vingt-cinq ans que nous avons constatée.

Son vainqueur et successeur, Hérard-Rivière, ne put supporter le rôle au-delà de quelques mois. C’est surtout à partir de ce dernier