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anglo-américaine, nous autorisera peut-être à envisager la question sous un tout autre jour que celui qui vient d’être indiqué. À nos yeux ce n’est pas seulement au point de vue du droit international que le retour à l’Espagne de son ancienne colonie peut être défendu, c’est encore dans l’intérêt des populations qui l’ont accompli aussi bien que dans celui de l’ancienne partie française, qui pour le moment proteste officiellement contre cet acte. Enfin, à qui voudra sortir de la sphère purement locale et rattacher à la politique générale de l’Europe le fait d’histoire contemporaine dont nous venons d’être témoins, nous espérons faire comprendre que ce fait doit être accueilli avec satisfaction, et maintenu précisément parce qu’il est en harmonie avec les véritables tendances de cette politique.

Personne n’ignore, mais tout le monde a peut-être oublié que le célèbre établissement français de la seconde des Antilles s’est formé tout seul, et constitue ainsi la plus belle manifestation de l’initiative individuelle des temps modernes. Lorsqu’on jette les yeux sur une carte de l’ancienne Hispaniola, on suit pour ainsi dire de l’œil le travail d’envahissemens successifs des aventuriers français qui, descendant de la petite île de la Tortue, placée au nord-ouest, sur une terre occupée par la plus puissante nation du temps, ne purent se développer que sur une zone relativement étroite. N’avançant que la dague au poing et par voie de refoulement, pour employer une expression longtemps usitée dans notre Afrique française, ils aimaient mieux suivre le littoral que pénétrer trop avant dans l’intérieur. C’est ce qui explique la configuration topographique si particulière de l’ancienne colonie française : un long ruban maritime s’étendant du nord-ouest au sud-ouest et n’embrassant certainement pas le tiers du territoire total de l’île. Cette marche usurpatrice dura de 1630 à 1697, date du traité de Ryswick, qui reconnut enfin les droits de la France, et la rendit souveraine régulière de sa colonie de Saint-Domingue. Jusqu’alors, à chaque changement de gouverneur, les colons espagnols montaient à cheval et interrompaient la prescription en faisant une charge à fond sur les établissemens français les plus voisins de la frontière. Sans la reconnaissance accomplie par le traité de Ryswick, qui délimita l’occupation française en la légitimant, il est bien probable que, se trouvant trop à l’étroit sur le littoral, elle se fût peu à peu étendue en profondeur, et aurait fini par arriver jusqu’à Santo-Domingo.

On peut dire que les deux colonies, désormais, amies, marchèrent d’un pas égal, l’une vers la prospérité, l’autre vers la déchéance. Il serait trop long d’énumérer les causes de cette diversité de fortune. Il suffira d’indiquer la principale, qui n’est autre que la fascination exercée sur tout Espagnol par la conquête du continent voisin. Cortez avait été greffier de la municipalité d’Azua, petite