Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capitan Cocodrillo : — du reste bon homme, fort doux, faisant la mouche du coche, innocemment enivré de son importance, et prenant bien les observations qu’on fut parfois obligé de lui adresser.

Les nouvelles que nous recevions de Capoue étaient toujours les mêmes : rien de nouveau ; sauf ces petits combats d’avant-poste dont j’ai parlé et sur lesquels il serait superflu de revenir, nul engagement sérieux n’avait lieu. Cependant nous tendions avec inquiétude l’oreille du côté du Vulturne, car nous sentions qu’une bataille allait devenir inévitable. En effet, les Napolitains ne pouvaient rester dans la position périlleuse où ils se trouvaient entre deux armées, l’une prête à les attaquer par le nord, l’autre les repoussant au midi. Il ne fallait pas être un stratège bien érudit pour comprendre qu’ils essaieraient de détruire un des deux ennemis afin de se retourner ensuite contre l’autre, et qu’ils commenceraient par le plus faible et le plus voisin, c’est-à-dire par nous. Si l’action s’engageait, elle serait décisive, et, perdue pour nous, la bataille pouvait bien entraîner la perte de Naples. Garibaldi déployait une activité extraordinaire ; à peine dormait-il, jour et nuit Il visitait les avant-postes, faisait établir des batteries, réunissait des bateaux à portée du Vulturne dans le cas où le passage deviendrait nécessaire, et chaque soir se disait sans doute : Ce sera pour demain… Nous nous en disions autant, et, comme on peut le penser, nous avions grande impatience de retourner au quartier-général de Caserte. Nous y retournâmes enfin, et Türr reprit le commandement de sa division, dont une brigade détachée occupait la périlleuse position de Sant’Angelo sous les ordres de Spangaro. Le 29 septembre, je me rendis chez ce dernier vers cinq heures du soir ; je m’installai comme je pus. Spangaro fit dédoubler son lit pour me donner à coucher dans l’unique chambre qu’il occupait ; ses officiers dormaient pêle-mêle dans une autre chambre qui servait à la fois de salle à manger et de chancellerie. C’était à peu près la plus belle maison du pays, dont les habitans, effrayés par les projectiles creux que Capoue lançait sans relâche, avaient abandonné leurs demeures, où ils ne se trouvaient plus en sûreté. La chère qu’on y faisait n’était point exquise et me rappela nos plus mauvais jours des Calabres ; le quartier de Spangaro, situé sur la hauteur, faisait partie des bâtimens de l’église, qui jadis avait appartenu à une abbaye. Plus bas, sur un petit chemin qui tombe en flèche de T sur la route qui va de Santa-Maria à la scafa de la Formicola, s’élève une sorte de ferme où le général Avezzana avait établi son quartier-général. Avezzana fut ministre de la guerre à Rome pendant la défense de Garibaldi : après la prise de la ville par les Français, il se réfugia en Amérique, d’où il a rapporté une raideur tout extérieure, qui contraste avec sa vivacité et sa bonhomie