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capital à l’exploitation d’une vaste étendue de terre, par culture intensive au contraire celle qui applique un grand capital à l’exploitation d’une petite étendue. La première est le procédé des populations disséminées et de l’art agricole dans l’enfance ; la seconde est celui des populations denses et d’un art déjà perfectionné. L’une domine en Russie, en Hongrie, dans la campagne romaine, l’autre en Angleterre, en Belgique, en Lombardie, mais on les trouve rarement associées d’une manière aussi intime et aussi heureuse que dans la Campine. Voici en quelques mots la base du système : quand une terre est stérile et maigre, la végétation spontanée qu’elle produit ne suffit pas, ainsi que nous l’avons fait remarquer, à nourrir le bétail dont l’engrais serait indispensable pour communiquer au sol et y entretenir la puissance de donner des récoltes successives ; mais si on rassemble d’une manière ou d’autre les élémens organiques qui croissent sur plusieurs hectares de terrain vague, et si, après les avoir convertis en matières fertilisantes, on les applique sur un seul hectare maintenu en culture permanente, la force initiale est trouvée, la difficulté est vaincue. Or telle est précisément la pratique généralement suivie par les paysans campinois. À chaque exploitation sont attachés soit un certain nombre d’arpens en friche appartenant au propriétaire de la ferme, soit l’usage d’une partie indivise des landes communales. À défaut d’engrais étrangers, dont jusqu’en ces dernières années la difficulté des transports lui interdisait l’emploi, c’est à la vaste étendue des bruyères que le cultivateur emprunte le moyen de donner à ses champs labourés une fumure aussi abondante et d’y récolter des moissons non moins belles qu’en Flandre. C’est dans la bruyère qu’il envoie paître le jeune bétail et les moutons, qui, rentrant la nuit, transforment leur litière en fumier sans demander toute leur nourriture aux terres en culture. C’est dans la bruyère qu’il va chercher son combustible ou qu’il recueille les végétaux qui, décomposés, viennent augmenter la masse d’engrais dont il dispose. Ainsi donc, soit par la consommation des troupeaux, soit par l’incinération, soit par la fermentation, toute la végétation de la lande vient se concentrer sur l’étendue de la terre cultivée, qui est portée de cette façon à un haut degré de fécondité malgré sa stérilité naturelle. On obtient donc ainsi, par suite d’une telle méthode, une culture vraiment intensive, grâce au véritable capital agricole, l’engrais, qu’on peut largement appliquer à l’exploitation.

Après avoir vu comment les procédés des cultures primitives s’associent dans la Campine à ceux d’un art agricole très perfectionné, examinons les dispositions particulières que présente la ferme, et surtout ne dédaignons pas de visiter l’étable. En effet, si l’on peut comparer une exploitation rurale à une sorte de manufacture qui