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ces jeux de lumière sans cesse renouvelés, ces reflets des torches de résine sur les bannières tricolores qui se frayaient passage à travers la foule, les joyeux concerts des bandes de musiciens qui couvraient les vivat, enfin et par-dessus tout le ciel d’un bleu sombre, avec ses myriades d’étoiles dont le scintillement amical semblait consacrer l’hommage offert au héros de l’Italie, tout cela ne formait-il pas un spectacle sublime, et la pensée que ce tribut était payé à la vertu, au courage, à la magnanimité, cette pensée seule n’eût-elle pas touché le spectateur le plus indifférent ?

« Ravenne, qui après avoir été la capitale de l’empire d’Occident, est devenue la résidence des rois lombards et la métropole des exarques de Constantinople, Ravenne est aujourd’hui encore riche en monumens qui illustrent son histoire. Il y a peu de villes, si l’on excepte Rome, qui se puissent enorgueillir d’églises, de palais, de musées, de mausolées, comparables aux siens. C’est dans ses murs que reposent les restes des fils de Théodose ; c’est là aussi que dorment les cendres de Dante, parmi les riches tombeaux des exarques et des patriarches ; mais cette vénérable cité, cette reine découronnée de l’Adriatique, n’aurait plus qu’à pleurer maintenant sa grandeur évanouie, si la nature ne lui avait fait présent d’un joyau dont la splendide beauté survivra à tous les monumens des hommes. Qui n’a entendu parler de la fameuse Pineta de Ravenne ? C’est la plus antique, la plus belle, la plus intéressante forêt de l’Italie. Dante et Boccace l’ont chantée, et l’éloge de ses merveilles a retenti de nouveau dans les vers de Dryden et de Byron. C’est la Pineta de Ravenne qui fournissait du bois à la vieille Rome pour la construction de ses navires, c’est sur des mâts coupés dans la Pineta que flottait autrefois la bannière de la puissante Venise ; eh bien ! la Pineta peut ajouter à ses classiques annales le plus touchant drame de notre temps, car c’est ici qu’en 1849, après la prise de Rome, Giuseppe Garibaldi chercha un refuge contre les Autrichiens ; c’est dans ce labyrinthe de broussailles que le héros proscrit erra, pendant des journées entières, de cabane en cabane, de buisson en buisson, et qu’il lui arriva d’être protégé seulement par l’abri de quelques broussailles contre la rage des soldats croates. Enfin, hélas ! c’est ici qu’eut lieu le plus tragique événement de sa vie, la mort de son adorée Anita ; mais c’est aussi dans la Pineta de Ravenne qu’il apprit de quels sacrifices héroïques, de quel profond dévouement sont capables les incorruptibles enfans des Romagnes.

« Une excursion dans la Pineta faisait partie du programme que le général avait tracé pour l’amusement de ses hôtes, et par une belle matinée, à huit heures, nous nous mîmes en route. Garibaldi, la signora D…, Teresa et moi, nous occupions la première voiture ; les autres personnes de la société nous suivaient dans la seconde, et trois légers phaétons, qui devaient remplacer nos équipages aux endroits moins accessibles de la forêt, fermaient la marche. Le temps était magnifique ; une fraîche brise d’automne tempérait l’ardeur du soleil ; nos chevaux partirent au grand trot, et nous arrivâmes en un quart d’heure à la lisière de la forêt des pins. La forêt s’étend à trente-cinq milles au nord de Ravenne et se déploie le long de la côte de l’Adriatique sur un terrain plat et sablonneux d’un à trois milles de large. Des allées, des clairières sans nombre viennent interrompre à chaque instant