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travers le monde. O Dieu, protecteur de l’innocence, pardonne-moi et protège mes enfans, les enfans de la femme martyre et du proscrit ! Et vous, enfans, si l’on vous demande un jour où sont votre père et votre mère, répondez : « Nous sommes orphelins à cause de l’Italie. » Mais aimez toujours l’Italie, car elle est aussi malheureuse que vous. »

Anita est une amazone comme Garibaldi est un soldat. Elle suit son mari en tout lieu, elle partage tous ses périls, aucune épreuve n’est au-dessus de son courage. Elle devient mère entre deux batailles, et l’enfant qu’elle met au monde porte au front une cicatrice, car peu de jours avant sa délivrance elle s’est blessée en tombant de cheval. Au milieu de cette guerre d’embuscades, où peut être le foyer de la jeune mère ? où reposera le berceau de l’enfant ? On ne sait pas le matin quel sera l’abri du soir. Souffrante encore, elle est obligée de remonter en selle, et la voilà qui s’élance au galop, son nouveau-né dans les bras. Elle est prise, elle s’échappe, elle est prise encore ; on la croit morte… quand elle reparaît tout à coup, souriante et fière, avec le bambino. Bientôt aux épreuves des combats succèdent des embarras d’un autre genre. Les affaires de la république de Rio-Grande sont à peu près arrangées, la guerre est finie avec le Brésil, le condottiere va s’établir à Montevideo, et il est obligé de faire les métiers les plus divers pour soutenir sa famille. Le voilà conducteur de bœufs, puis professeur de mathématiques, puis courtier de commerce et colporteur d’échantillons. On comprend bien qu’un tel homme ne se résignera pas longtemps à une vie si paisible. Montevideo est en lutte avec Buenos-Ayres. Le général Manuel Oribe, ancien président de Montevideo, a été exilé par la république, et comme Coriolan chez les Volsques (la comparaison est de Garibaldi), il est allé demander aide et protection à l’ennemi de sa patrie, au dictateur de Buenos-Ayres. Soutenu par Rosas, Oribe marche sur Montevideo ; c’est à ce moment que Garibaldi reparaît sur la scène et que son rôle grandit avec les circonstances. D’abord il commande une flottille sur la Plata ; il commandera ensuite une légion italienne, et désormais ce ne sera plus seulement un chef de bandes sauvages comme dans les luttes de Rio-Grande, ce sera vraiment un capitaine qui inscrira son nom sur le livre de la guerre. Le condottiere de la veille devient décidément un personnage. En lutte avec M. Vidal, premier ministre de la république de Montevideo, comme il l’est aujourd’hui avec M. de Cavour, il est presque un homme politique en même temps qu’il fait son métier de soldat. Ses expéditions, ses victoires, sa défense de Montevideo, attirent sur lui l’attention, non pas seulement de l’Amérique espagnole, mais d’une partie de l’Europe. À une époque où le nom de Garibaldi était profondément inconnu chez nous, il était déjà