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vaste et libre Océan, accompagné de seize hardis compagnons, je jetai le défi à un empire, et, seul représentant de la république de Rio-Grande, j’arborai son drapeau sur le mât de mon navire. » Quelle était cette république de Rio-Grande, et de quel empire s’agit-il ici ? Il s’agit du Brésil et de ses luttes intestines. Essayer de raconter cette guerre de partisans, ce serait se perdre en des détails sans fin. Garibaldi lui-même, qui a pris une part si considérable à ces événemens tumultueux et bizarres, n’a pas réussi à en donner un tableau très intelligible. Ce qu’il y a de plus clair au milieu de ces sanglans imbroglios, c’est l’activité fiévreuse de l’aventurier. Il a beau dire qu’il est le champion des droits des peuples, on voit bien dans cette période de sa vie qu’il est entraîné avant tout par le besoin d’aventures. Il se bat pour se battre, pour dépenser son ardeur, pour apaiser, s’il est possible, la furie qui le dévore. Parfois aussi on dirait une gymnastique prodigieuse ; il semble vouloir essayer ses forces, et ce que peut supporter le démon de son âme et de son corps. Les épreuves qu’il endure sont terribles, et pourtant le courage et l’espérance ne l’abandonnent jamais. Tantôt sans ressources, sans argent, mourant de faim, malade, blessé, à deux doigts de la tombe, tantôt ravitaillé par la fortune et tout fier de commander son escadron de cavalerie, il conserve toujours à travers ces alternatives la même sérénité invincible.

Un jour, le mariage, qui avait toujours répugné à sa fougueuse nature, lui apparaît comme une consolation et un refuge. L’image d’une femme entourée d’enfans sourit à sa pensée ; bien loin d’y voir une source d’embarras dans cette vie de privations et de périls, il croit qu’alors seulement il jouira d’une existence complète. Il aperçoit une belle fille dont la physionomie ingénue et fière répond aux visions de ses rêves ; il la reconnaît, il va droit à elle, il se nomme : « Sois à moi, » lui dit-il, et la jeune fille le suit. La jeune femme qui va s’appeler Anita Garibaldi était-elle promise à un autre, était-elle libre encore, lorsqu’elle se laissa séduire au nom déjà illustre du condottiere ? On ne sait pas toute la vérité sur ce point ; on voit seulement que Garibaldi n’a pu parler sans trouble, j’allais dire sans remords, de cette singulière aventure. « S’il y a eu là une faute, s’écrie-t-il, j’en suis seul responsable, et sans nul doute il y a eu là une faute, car l’amour qui unit alors nos cœurs brisa le cœur d’un pauvre innocent qui avait des droits plus grands que les miens ! Mais Anita est morte, il est vengé ! Ah ! lorsqu’à l’endroit où l’Éridan se jette dans l’Adriatique je pressais dans mes bras la chère malade pour la disputer à la mort, je sentis bien ce jour-là toute la grandeur de ma faute. Je versai des larmes de désespoir ; puis je m’en allai seul et abandonné, errant à