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et menaçant. Je proposai de ne pas différer davantage la visite du domaine.

« — Laissez-moi vous présenter ma Teresa, nous sortirons ensuite. — En disant ces mots, le général s’élança hors de la chambre… Bientôt parut la jeune Teresa. Avec quel intérêt je contemplai cette radieuse enfant ! Les traits classiques de sa figure étaient la fidèle image de son père, tandis que sa robuste constitution et la souplesse hardie de ses mouvemens trahissaient le type brésilien de sa mère. Jamais je n’ai vu un teint brun et coloré au soleil faire si peu tort à des cheveux blonds, ou bien était-ce le bel émail de ses yeux, était-ce le mélange d’impressions si diverses sur sa physionomie, tantôt la timidité d’une jeune fille, tantôt l’espièglerie d’un enfant de la nature, était-ce tout cela qui donnait au visage de Teresa un charme si puissant ? Pour faire honneur à ses hôtes, la chère enfant s’était soumise à la gêne d’une toilette inaccoutumée. Combien j’eusse été heureuse de la délivrer de son joug, de lui rendre à la place de sa jolie veste de piqué, de sa fine robe, de mousseline, ses rustiques vêtemens de tous les jours, et de nouer autour de sa taille la fionda sarde qu’elle manie si bien !

« Nous sortîmes enfin pour examiner le domaine assez vaste du général. La visite dura bien quelques heures, mais nous fûmes amplement dédommagés de notre peine. Rien de plus intéressant que l’aspect de cette plantation en son premier et vigoureux essor, rien de plus instructif que les explications toujours si riches, si substantielles, de notre complaisant cicérone. C’est au mois de mai 1855 que Garibaldi mit le pied pour la première fois sur le sol de l’île Caprera. Il y trouva une masse de granit complètement inhabitée, et recouverte ça et là seulement d’une mince couche de terre. Encore cette couche de terre était-elle en maints endroits tellement chargée de pierres et de cailloux qu’elle pouvait à peine fournir une maigre nourriture à des bruyères sauvages et à des plantes aromatiques. Aujourd’hui, après deux ans et demi d’exploitation, nous y voyons une demeure comfortable, et autour de cette demeure un enclos entouré d’un mur qui a bien deux milles de long ; un vaste enclos tout entier créé par le général, où poussent et prospèrent, sans parler d’une multitude de légumes, amandiers, pommiers, poiriers, châtaigniers, et la vigne, et même la canne à sucre. On voit courir à travers l’enclos plusieurs ruisseaux distribués avec art, dont l’eau, abondante et limpide, préserve le sol des brûlantes atteintes du soleil. Des fours à charbon, en pleine activité, où l’on jette les racines arrachées à la terre, attestent la vigilance et l’aptitude économique du maître. C’est une chose admise et passée en proverbe que le premier colon qui défriche une terre s’expose à des désastres ; le colon de Caprera semble avoir conjuré ce péril. Ces coteaux fraîchement labourés, où naguère encore on ne voyait que des pierres et des broussailles, ne promettent-ils pas une riche moisson ? Écoutez ces aboiemens des chiens, écoutez ces coups de fusil qui éclatent par intervalles ; tout ce bruit vous apprend que la petite colonie sait défendre son travail. Les innombrables volées d’oiseaux qui venaient savourer autrefois les fruits des buissons ne s’aventureront plus sans danger dans les plantations de l’île…

« Si notre visite à ce jeune domaine en si bonne voie de développement m’avait causé une vive jouissance, ce me fut aussi une grande joie de m’asseoir