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et l’on ne dormit qu’à moitié, tout vêtu, les armes près du lit. Les heures sonnaient lugubrement dans le silence ; parfois, dans mon demi-sommeil, il me semblait entendre les sourdes détonations des artilleries éloignées. J’ouvrais la fenêtre ; la fraîcheur du grand parc de Caserte me frappait au visage ; j’écoutais, mais je n’entendais rien que le murmure monotone des cascades et quelquefois le cri d’un paon réveillé tout à coup. Le jour se leva chaud et nuageux ; un vent d’ouest violent courbait les arbres et promettait un orage. Je voulus aller à Santa-Maria et à Sant’Angelo voir s’il n’était rien arrivé de fâcheux aux personnes que je connaissais. Je partis en calèche découverte par la charmante route qui passe devant le palais même et côtoie les immenses casernes dont les Bourbons de Naples avaient entouré leur demeure favorite. Près du chemin s’élèvent deux tombeaux antiques, en briques, d’un ordre régulier, où le toscan domine ; les herbes folles, les broussailles les ont empanachés de verdure. Le catholicisme a procédé là comme partout : il a pris le monument païen et se l’est approprié ; chacune de ces tombes est aujourd’hui une chapelle surmontée d’une croix et enluminée de mauvaises peintures religieuses. Santa-Maria n’est qu’une petite ville dont les maisons se dressent là même où jadis resplendissaient les palais de l’ancienne, Capoue, qui eut trois cent mille habitans. De ces splendeurs il ne reste rien, à peine quelques soubassemens de l’amphithéâtre, le plus ancien de l’Italie, qui pouvait contenir soixante mille spectateurs assis. J’y trouvai la brigade Eber et la plupart de ceux avec qui j’avais fait mes premières étapes dans les Calabres. Vers Capoue, la route était coupée par un fossé défendu par des chevaux de frise et une barricade ; une grand’garde y veillait ; au-delà, le pays était désert ; pas un paysan, pas un bœuf, pas un mouton : l’épouvante avait tout chassé. De distance en distance, des sentinelles appuyées contre les arbres, le doigt sur la détente du fusil, examinaient la campagne.

À Sant’Angelo, nous trouvâmes Garibaldi trempé comme un barbet qui sort de la rivière ; il descendait du haut du Monte-Tifata, où il était allé examiner l’emplacement propice à l’établissement d’une batterie qui, pouvant battre la route de Capoue à Cajazzo, empêcherait les Napolitains de faire un mouvement pour reprendre cette dernière ville. Il s’en allait sous la pluie, couvert de son vieux, manteau gris si connu des soldats, parlant aux uns, serrant la main aux autres, les félicitant de leur conduite pendant le combat de la veille et soulevant autour de. lui des cris frénétiques. Je retrouvai Spangaro, toujours joyeux et affable ; un de ses chevaux avait été blessé sous lui pendant la bataille, mais lui, il avait été respecté par les balles. Nous grimpâmes sur une éminence pour voir Capoue, qui,