Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attire là des marchands de tous les pays que baigne l’Adriatique. Ce qu’a été longtemps notre foire de Beaucaire pour le midi de la France, la foire de Sinigaglia l’est encore aujourd’hui pour toute l’Italie du centre. De Venise, de Genève, de Trieste, de tous les ports du Levant, les négocians viennent chaque année y déballer leurs marchandises ; chaque maison devient un magasin, et la ville entière ne forme qu’un bazar. On y entend à la fois toutes les langues de l’Europe, et, ce qu’il n’est pas moins rare de trouver dans le même lieu, tous les dialectes de l’Italie. Le soir où Elpis Melena arriva aux portes de Sinigaglia, elle eût dû trouver la ville dans les douceurs habituelles de son far niente, car on n’était pas encore au mois de juillet ; non, un spectacle plus curieux que la foire l’y attendait, des fêtes plus touchantes animaient la petite cité qui a vu naître Pie IX, et que le vénérable pontife était venu visiter.

C’est à Sinigaglia en effet que naquit, le 13 mai 1792, le comte Jean-Marie de Mastaï-Ferretti, élu pape, sous le nom de Pie IX, le 16 juin 1846. Il y avait bien des années que le jeune comte avait quitté sa ville natale pour aller faire ses études à Volterra, il y avait bien des années que les événemens de sa vie l’avaient tenu éloigné des lieux où s’était écoulée son enfance ; missionnaire au Chili en 1823, évêque d’Imola en 1832, cardinal en 1839, souverain pontife sept années plus tard, il avait dû se consacrer tout entier à ses fonctions, et Sinigaglia depuis bien longtemps n’avait pas reçu sa visite, quand il se décida enfin, pendant l’été de 1857, à venir revoir sa maison paternelle et bénir ses concitoyens. Que d’épreuves avait déjà traversées ce pontificat, salué en 1846 par les acclamations de l’Europe libérale ! Que de contradictions douloureuses, tragiques même, avaient éclaté entre le généreux esprit du pontife et les difficultés de son pouvoir temporel ! Telle était pourtant la sereine majesté de cette âme qu’au milieu de tant de difficultés, au milieu de tant de haines, au lendemain d’une révolution mal apaisée, à la veille d’une seconde explosion bien autrement redoutable, Pie IX n’avait qu’à se montrer pour gagner tous les cœurs. Je ne saurais dire en vérité si l’auteur a volontairement amené ou s’il n’a fait que rencontrer par hasard le contraste que je veux mettre en lumière ; mais cherché ou rencontré, produit d’une combinaison d’artiste ou résultat du hasard, le contraste n’en est pas moins l’un des traits les plus caractéristiques de la situation présente de l’Italie. Ce peuple qui n’aura bientôt que des ovations pour le chef des corps francs, c’est le même qui en 1857, pendant le voyage du pape, accourait partout sur ses pas avec des cris de joie et d’amour. Quand les journaux italiens nous racontaient ces détails, nous faisions la sourde oreille ; comment en douter aujourd’hui ? C’est une Anglaise anti-papiste, c’est une amie,