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« Pendant l’automne de 1853, j’étais en villégiature à Sorrente, et la saison déjà fort avancée, les soirées devenues bien longues rendaient doublement précieuse l’arrivée des visiteurs chéris. Mon vieil ami, le capitaine D…, venait donc me voir dans ma villa toutes les fois que son navire il Lombardo le conduisait à Naples. Assis sur la terrasse poétiquement ombragée, abrités sous les pampres anacréontiques, nous laissions errer nos regards sur les spectacles magnifiques du golfe, ou bien nous prêtions l’oreille aux sons lointains d’une guitare ou d’une mandoline.

« Beatus ille qui procul negotiis,… de tels momens sont délicieux ! Au milieu de cette quiétude charmante, je ne demandais pas mieux que d’écouter bien avant dans la nuit les récits du vieux marin, d’autant plus qu’il prenait lui-même un grand plaisir à feuilleter les pages de son aventureuse existence.

La conversation tomba un jour sur Garibaldi, le champion de la liberté, déjà célèbre alors par ses guerres de partisans dans l’Amérique du Sud et son héroïque défense de Rome. Mon ami, il y a bien des années, l’avait connu intimement à Constantinople ; tout ce qu’il me raconta du glorieux enfant de Nice m’inspira un tel enthousiasme et formait un si frappant contraste avec les fabuleuses histoires que j’avais entendu débiter sur son compte en divers pays, et principalement en Allemagne, que j’arrachai au capitaine D… la promesse d’obtenir de Garibaldi la communication de ses mémoires, afin que je pusse raconter sa biographie aux Allemands.

« La promesse était hardie, et je ne pouvais guère espérer qu’elle se réaliserait ; qui savait alors dans quelles eaux de la mer de Chine ou de l’Océan austral errait le patriote si cruellement éprouvé ? Deux ans plus tard cependant, je me trouvai en possession du manuscrit si désiré. Hélas ! il s’en fallait bien que mon attente fût satisfaite : le manuscrit s’arrêtait à l’année 1848, juste au moment où le rôle de Garibaldi en Europe commençait à devenir intéressant. Pendant les deux années qui suivirent, je ne négligeai aucun moyen, soit direct, soit indirect, pour déterminer le général à compléter sa biographie ; Tout fut inutile. Or le général, en vrai Cincinnatus, venait de s’établir provisoirement dans l’île déserte de Caprera, sur la côte septentrionale de la Sardaigne, et, comme j’avais toujours un ardent désir de lui faire rendre en Allemagne les hommages qui lui sont dus, comme je sentais bien que l’abandon de ce projet serait une coupable infidélité à mon amour de la vérité et de la justice, je profitai du voisinage, et je partis pour l’île de Caprera pendant l’automne de 1857, bien résolue à faire tout mon possible pour gagner à mes projets l’inflexible héros. »


Le premier ouvrage publié par Elpis Melena est précisément le récit de cette visite à Garibaldi dans son île solitaire. En voici le titre complet : Cent et Un Jours sur mon cheval et une excursion dans l’île Maddalena. L’île Maddalena est le centre du petit archipel qui s’épanouit au soleil sur les côtes nord-ouest de la Sardaigne ; entre tous ces îlots, Maddalena seule est en rapport avec le continent par les bateaux à vapeur qui font une fois par mois le service de Gênes à Cagliari. Quand les habitans de Santa-Maria, de Caprera, des îles