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par Elpis Melena la divulgation européenne des premiers secrets de sa vie. Tout est mystère dans ce singulier épisode. Efforçons-nous pourtant de découvrir une part de la vérité, et si elle renferme une signification politique ou morale, essayons de la mettre en lumière.

Nous savons en réalité par avance que tout ne sera pas obscur et incertain dans l’étude que nous allons faire ; quelles que soient les conjectures fort diverses auxquelles a donné lieu cette étrange apparition d’Elpis Melena, il ne saurait y avoir de doutes sur l’authenticité des pièces qu’elle a eues entre les mains. Assurément l’heure n’est pas venue de porter un jugement définitif sur le général Garibaldi. Cette généreuse et loyale figure est mêlée à trop de passions contraires, il y a un enthousiasme trop naturel chez ses partisans et des fureurs trop faciles à comprendre chez ses ennemis pour que la vérité complète puisse être finement saisie au milieu des flatteries et des imprécations. Et puis son rôle n’est pas terminé ; sur la mer tumultueuse de l’action, qui peut être sûr des vents et des flots ? Tant qu’un homme né pour agir n’a pas achevé son œuvre, l’histoire est obligée d’attendre, même pour juger les choses qu’il a déjà su accomplir. Soyons donc à la fois très ferme dans le maintien des principes et discret sur le compte des personnes. En attendant qu’un homme tel que Garibaldi puisse être équitablement jugé par le tribunal de l’avenir, la seule chose convenable à mon avis, c’est de recueillir les documens qui pourront servir à cette appréciation définitive. Les témoignages apportés par tous ceux que la destinée a placés sur les pas du hardi général doivent donc être rassemblés avec soin ; de cette vaste et scrupuleuse enquête se dégagera un jour la vérité de l’histoire.


I

Les ouvrages d’Elpis Melena ont paru en langue allemande, et cependant Elpis Melena n’est pas une compatriote de Schiller. Ce nom, qui est évidemment un nom de fantaisie, était tout à fait inconnu l’année dernière, quand on le vit à la première page d’un livre fort singulier, intitulé hardiment Cent et Un Jours sur mon cheval. « S’il est vrai, comme on l’affirme, que le succès d’un livre dépende souvent d’un titre heureusement choisi, je crains bien, — c’est Elpis Melena qui parle, — je crains bien d’avoir fait grand tort à ces feuilles. Le passeport que je leur donne est manifestement suspect, et pourrait bien leur attirer un accueil comme il n’en est réservé qu’aux révolutionnaires et aux proscrits sur le seuil des états despotiques. Je vois déjà, au seul aspect de mon livre, s’assombrir