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Versailles et de Saint-Germain. Elle était faite visiblement pour celle-ci. Dans l’absence de Jacques où la reine avait tant pleuré, le roi ému la comblait de présens dévots, chapelets ou reliques, et de fêtes données pour elle. Il ordonna expressément qu’on achevât Athalie. Cette pièce terrible où l’on jouait la mort de Guillaume, comme dans Esther celle de Louvois, venait à point pour consoler la triste cour du retour ridicule et trop pressé de Jacques. Humiliée sous la main de Dieu, elle voyait du moins dans la tragédie prophétique que cette main vengeresse allait frapper son ennemi.

L’inspiration de la nature, la pitié d’un enfant soutint Racine, et préparait les cœurs au dénoûment dénaturé. Un enfant au berceau dépossédé, persécuté, voilà tout ce qu’on y sentait. Cet attendrissement acceptait volontiers la trahison d’Abner et regorgement d’Athalie. Le noir Paris d’alors, tout prosaïque qu’on le suppose, concentrant, refoulant en lui le grand poète, avait fortifié ses tristesses dévotes, jansénistes et bibliques. Élevé au maussade désert de Port-Royal et transplanté sous Saint-Séverin, il écrivit Andromaque, Iphigénie et Phèdre dans l’humide rue Saint-André-des-Arcs. On sait sa pénitence, son mariage, autre pénitence. Au-dessus du bruit, du brouillard, il monta quelque peu, se posa à mi-côte rue des Maçons. Douze ans durant, il y languit stérilisé dans l’ombre froide de la Sorbonne. Un doux jeune rayon lui revint de Saint-Cyr, comme une aurore en plein couchant. Les délicates harmonies de couvent, ces innocentes amours de jeunes sœurs, lui inspirèrent la mélodie d’Esther. Enfin, montant plus haut, dans l’austérité pure, il trouva le sublime : c’est la tragédie d’un enfant. Si l’enfant eût rempli la pièce de son péril, l’intérêt eût été très vif : on n’eût pas respiré, les femmes auraient pleuré d’un bout à l’autre ; mais cela ne se pouvait pas. On eût taxé l’auteur d’impiété s’il eût laissé douter longtemps que la main divine est présente. Racine ne put faire autrement. Du premier mot, on sent que rien ne périclite, qu’un miracle tranchera tout, — donc que l’enfant ne risque guère. Esther avait été lue d’avance à Mme de Maintenon, de scène en scène, et il dut en être ainsi d’Athalie. Elle craignait ; elle ne voulait plus y être prise. On resserra à l’excès le seul rôle qui intéressât. On craignit de faire de la gentillesse des petites une sensualité de cour, et, dans ce beau sujet du péril de l’enfant, l’enfant ne parut presque pas.

Cependant le démon Louvois, en plein janvier, forgeait déjà la foudre. En grand secret, il arrangeait une campagne de surprise, où le roi, cette fois encore, tout comme aux jours de sa jeunesse, n’aurait qu’à paraître pour vaincre. Il avait obtenu que, pour cette courte apparition, on ne ferait pas la dépense d’emmener la cour.