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que je ne sais quel accord tacite dissimulait le tout au roi. Seulement la température de la cour avait changé autour de lui, et l’on sentait un souffle tiède. Il était comme un homme qui a un foyer invisible sous le plancher. Malgré les dangers, l’embarras, la détresse du moment, il y avait chez ses meilleurs courtisans je ne sais quelle douceur de pieuse gaieté. D’autant moins pouvait-il tolérer le visage haïssable, la face apoplectique de. ce païen Louvois, toujours furieux, tandis qu’autour de lui il ne voyait qu’un certain paradis et l’aimable sourire des saints.


IV

Jusqu’où Mme de Maintenon irait-elle dans les voies mystiques où l’entraînaient le parti des duchesses, la cour de Saint-Germain et, pour le dire en général, la dévote cabale des ennemis de Louvois ? C’était une grande question. Son influence, timide, réservée, d’autant plus profonde, devait, si elle se donnait à eux, agir peu à peu sur le roi, changer la politique d’intérêts en politique pieuse de sentimens et de passion, c’est-à-dire lancer le roi à l’aveugle dans la grande affaire d’Angleterre. Voilà pourquoi il faut bien s’arrêter derrière la coulisse, chez Mme de Maintenon et surtout à Saint-Cyr, où se fait (entre des personnes innocentes, ignorantes de tout) le violent combat des deux esprits qui se disputent le monde.

Mme de Maintenon, malgré sa dévotion de forme et même sa bonne intention d’être dévote, n’avait aucune tendance à l’amour du surnaturel. Elle était trop sensée pour se prendre à la grossière légende de Saint-Germain, au cœur sanglant, religion matérielle, qui fut bientôt si populaire, et d’autre part elle était trop froide, trop sèche pour être bien sensible aux suaves douceurs de Mme Guyon. Notons en passant qu’en cela elle était comme tout le monde. Peu, très peu de gens en France goûtèrent le quiétisme. Le grand bruit qu’ont fait là-dessus les glorieux champions, Fénelon et Bossuet, ne doit pas faire illusion. C’étaient de vieilles choses, surannées, dépassées. Le mysticisme pur, rajeuni par le charmant génie de Mme Guyon, voulait des âmes tendres, rêveuses, comme on n’en trouvait guère chez un peuple rieur. Le mysticisme impur de Molinos, qui dès longtemps et avant Molinos fut un art subtil de corrompre, était trop sinueux, trop lent, trop patient pour les derniers temps où nous sommes. On allait bien plus droit au but par la transparente équivoque du sacré cœur et le culte du précieux sang.

Mme de Maintenon n’apportait au quiétisme nulle vocation qu’un très profond ennui, un grand besoin de nouveauté. Avec sa vie renfermée, solitaire même à certaines heures, on eût dit qu’elle avait un pied dans la vie religieuse. Elle manquait de ce qui en est le