Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son mari le. commandait ; elle déploya plus tard une vive éloquence, une vraie force théologique. Avec cela, toujours enfant.

Un jour qu’elle alla consulter un vieux franciscain très austère qui vivait enfermé, et, disait-on, n’avait pas vu de femme depuis longues années, il lui dit ce mot seul : « Vous cherchez au dehors ce que vous ayez au dedans. Cherchez Dieu en vous ; il y est. » Puis il lui tourna le dos. « Ce fut un coup de flèche, dit-elle ; je me sentis une plaie d’amour délicieuse, avec le vœu de n’en jamais guérir. » Elle prit sur elle d’y retourner encore, et il lui apprit une étrange nouvelle : « Qu’une voix d’en haut lui avait dit : C’est mon épouse. » - Sur quoi, elle s’écrie dans une adorable innocence : « Moi ! si indigne, votre épouse !… Pardonnez-moi, Seigneur, mais vous n’y pensiez pas ! »

Bien d’autres ont eu cette révélation. La visitandine Marie Alacoque, dans sa vision du sacré cœur, qui est à peu près du même temps, sut aussi qu’elle était l’épouse de Jésus. Son abbesse dressa le contrat, célébra les noces. Et néanmoins la différence est grande. La forte visitandine de Bourgogne que l’on saignait sans cesse, ivre de vie, eut le délire physique et voyait le sang par torrens. Mme Guyon n’était qu’une âme ; dans le mariage même, elle ne sut pas ce que c’était, mère n’en fut pas moins demoiselle. Délicate et souvent malade, elle resta infiniment pure, éthérée d’imagination. Elle aima vraiment un esprit, n’eut besoin de donner nulle figure à celui qu’elle cherchait, n’eut de l’amour que la souffrance, l’aspiration et le soupir, puis une étonnante paix.

À travers sa crédulité souvent puérile, elle a deux choses très hautes pour l’émancipation de l’âme. Elle se défie des visions, croit que Dieu ne s’y montre point. Elle se défie des directeurs et pense qu’on est bien fou de croire l’homme infaillible. Elle s’exposa souvent pour sauver de belles filles de leur confesseur. N’était-elle pas dangereuse elle-même à son insu ? Si faible et maladive, elle n’en avait pas moins, on le voit, une singulière plénitude magnétique. Les plus purs, les plus saints, hommes ou femmes, en sentaient les effluves toutes puissantes. Le pieux M. de Chevreuse le disait à Bossuet : « N’avez-vous pas senti qu’on ne peut être assis près d’elle sans éprouver d’étranges mouvemens ? »

Bien loin d’abuser de cette puissance pour s’asservir des volontés, elle s’était imposé le supplice de vivre avec une âme réfractaire à la sienne, une femme de chambre de rude dévotion, dont la parole et le contact lui étaient un martyre. Cette femme la crucifiait tout le jour. Cependant, si elle était malade, elle subissait l’ascendant de sa douce maîtresse ; il suffisait que Mme Guyon lui défendît de l’être : elle guérissait à l’instant. Nombre de gens la suivaient malgré eux. Tel fut le père Lacombe, par qui elle se crut dirigée et qu’elle dirigeait