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Racine, n’en reste pas moins Seignelay, je veux dire l’orgueilleux, le, cruel bombardeur de Gênes, le tyran de nos amiraux. Même sa conversion est tristement datée par un acte d’indélicatesse : il empêche Jean Bart et Forbin de faire la grande guerre ; il se réserve ces vaillans, ces preneurs infaillibles, pour faire la course à son profit. Pour ne compter dans ce parti que les hommes vraiment pieux en qui la foi était le fond du cœur, les Beauvilliers, Chevreuse, etc., on est frappé de voir combien cette foi sincère est timide et de peu d’effet, pauvre de résultats. Ce sont des courtisans honnêtes et médiocres, qui, pour influer quelque peu, sont obligés de s’observer beaucoup, de s’amoindrir encore, de s’accommoder à la médiocrité sèche du roi et de Mme de Maintenon.

Il faut le dire, il y avait un amoindrissement général, et dans la chose même qui faisait la couleur du temps, la dévotion. Le jansénisme avait pâli. Il languissait avec Nicole octogénaire en son désert du faubourg Saint-Marceau. Le jésuitisme même avait pâli. Quoique le père La Chaise, récemment, en 1687, pendant la maladie du roi, lui eût surpris la feuille des bénéfices, très faible était son influence morale. Les jésuites du Canada, riches et paresseux, avaient interrompu leurs relations romanesques, qui pendant cinquante ans avaient été le vrai journal du temps, le pieux amusement du monde catholique. L’insipide juste-milieu de Saint-Sulpice, la simplicité fausse des lazaristes, pauvres, sales d’extérieur (et très riches en dessous), c’est ce qui réussissait en cour. Ennui profond, nullité, platitude.

Ce qui peint Mme de Maintenon, c’est qu’en 1689 et la veille d’Esther, elle a pour idéal dans la haute spiritualité un Godet-Desmarais, de la plus sèche étoffe qu’ait fournie Saint-Sulpice. Elle estimait en lui sa littéralité serrée de prêtre exact, une certaine médiocrité judicieuse, qui n’est nullement la solidité forte. Il lui plut par sa figure basse, qui disait vrai sur le dedans : il détestait le grand et haïssait le génie. Sa dévotion pauvre, décharnée, sans substance, pour aliment à la vieille âme ne pouvait donner que des os.

Le jeune homme, dans ce monde de vieillards, est un abbé de qualité qui n’a pas quarante ans, l’aimable Fénelon. Il est déjà mystique et quiétiste en 1686 (lettre du 10 mars), mais avec des ménagemens extrêmes et des contradictions (d’activité passive) qui tombent dans le galimatias. Son Education des filles, livre admirable de prudence et d’esprit positif, est visiblement fait pour être de Mme de Beauvilliers transmis à Mme de Maintenon. Ses amis conspiraient pour le faire précepteur de l’enfant royal, et il devait ménager tout. Élevé tour à tour par Saint-Sulpice et les jésuites, il conservait un pied ici et un pied là. Il rendait des respects infinis à Bossuet, il l’avait enlacé, et par lui avait prise dans un troisième parti, celui des