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Lui seul était en règle, seul agit efficacement. Esther fut inutile, et il n’en resta rien qu’un chef-d’œuvre et une mode. Et le départ de Jacques fut un triomphe de Louvois.


III

Beaucoup de gens blâmaient Mme de Maintenon de ne pas se mêler assez des affaires. Reproche injuste : elle influait infiniment, et de la vraie manière, seule efficace auprès du roi. Elle ne faisait rien, mais peu à peu elle mit au conseil ceux qui faisaient tout, les ministres. Pontchartrain, aux finances, se fit son homme, et Seignelay, à la marine, ne se soutenait que par elle dans sa rivalité contre Louvois. D’autre part, son concert avec un certain groupe de grands seigneurs honnêtes et pieux que le roi estimait devait avoir, ce semble, un effet plus profond, celui-de modifier à la longue le caractère même du roi. « Obsédez-le de gens de bien, lui écrit Fénelon ; qu’on le gouverne, puisqu’il veut être gouverné. » Par ce moyen réellement on fit le roi dévot, pour dix années surtout. Au-delà, la vieillesse, le malheur, je ne sais quel endurcissement, le jetèrent dans l’indifférence.

Regardons cette petite société comme un couvent au milieu de la cour, couvent conspirateur pour l’amélioration du roi. En général, c’est la cour convertie. Les fils et filles de la génération violente qui précéda sont tout humanisés et régularisés, amendés ; ils semblent expier l’énergie que leurs pères déployèrent en mal ou en bien, leurs fortunes souvent mal acquises. Les trois filles de Colbert, les sœurs de Seignelay, duchesses de Chevreuse, de Beauvilliers, de Mortemart, semblent autant de saintes. Le duc de Chevreuse, petit-fils du favori Luynes, n’intrigue qu’en affaires dévotes ; il est l’agent, le colporteur de la pieuse coterie. Le duc de Beauvilliers (fils de ce Saint-Aignan qui fournit au roi La Vallière) fait ses filles religieuses. Ce qui est beau, très beau dans ce parti, ce qui en fait l’honorable lien, c’est l’édifiante réconciliation des mortels ennemis, les Fouquet, les Colbert. La fille de Fouquet, que Colbert enferma vingt ans, la duchesse de Béthune-Charost, par un effort chrétien, devient l’amie, presque la sœur des trois filles du persécuteur de son père. Cette duchesse est la pierre de l’angle dans la petite église, « la grande âme, » admirée et respectée de Fénelon.

Ce tableau a des ombres. Les personnages accessoires qui y entrent ne sont pas sans reproche. Le fils par exemple de la grande sainte, Charost, dévot et pratiquant, n’en est pas moins l’intime ami des libertins de l’époque. Seignelay, qui devient dévot sous l’influence de ses sœurs et de Mme de Maintenon, entre Fénelon et