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où l’adulation a toutes les formes de l’amour. Entraînée, ou par le désir de plaire au roi, de l’amuser, ou par ses propres engouemens, le plaisir de faire des poupées, elle mettait aux plus jolies des nœuds de rubans, des perles à ces demoiselles pauvres ! Les innocentes ne rêvaient plus que la cour et de grands établissemens, pour retomber bientôt à la réalité amère. Le roi croyait, beaucoup croient et répètent que Mme de Maintenon était fort judicieuse. Dans les grandes affaires, en conseil, il s’arrêtait parfois, lui disait : « Qu’en pense votre solidité ? » Cette solidité ici ne paraît guère. Une éducation contradictoire de dévotion et de cour ne pouvait porter fruit. Elle était extérieure, n’allait pas au cœur même ; elle imposait surtout la convenance. L’élève personnelle de Mme de Maintenon, Mme la duchesse (de Bourbon), fut une des personnes les plus mauvaises du siècle.

À Saint-Cyr, les grandes filles, surtout de quinze à vingt ans, devenaient très embarrassantes. Nobles de père, mais bourgeoises de mère, elles avaient, ce semble, la chaleur du sang plébéien. Plusieurs nous sont connues par leur destinée romanesque. Leur cruelle crise d’enfance, ce violent passé de conversion et l’ébranlement qui en restait les faisaient passionnées d’avance. Elles n’étaient qu’orage et langueur. On les voyait si tristes, qu’on ne savait comment les consoler. On s’avisa de les faire déclamer, jouer la tragédie. Elles ne l’avaient que trop au cœur.

Nulle n’échappa plus vite à Mme de Maintenon que sa nièce, la petite Villette, et même avant treize ans. Elle était gaie, rieuse, peu capable de feindre, crédule, damnablement jolie. Tout tournait autour d’elle, des fats où des amies trop tendres. Mme de Maintenon craignit quelque éclat qu’on ne pût cacher, et la maria brusquement. M. de Boufflers, si estimé, se présentait. La tante dit durement : « Elle n’est pas digne d’un si honnête homme, » et elle eut la cruauté de la donner à un Caylus, grossier, ivre toujours : admirable moyen de la précipiter sur la pente de l’étourderie ! Elle fit bientôt une autre exécution sur la supérieure de Saint-Cyr. Mme Brinon avait commencé et fait cette maison. Elle y était chez elle, on peut le dire. On venait de la nommer directrice à vie, et on la chassa brusquement. Elle plaisait au roi ; ce fut son crime réel. On l’accusa de cette tendance mondaine et théâtrale de Saint-Cyr ; mais Mme de Maintenon avait rejeté les pièces pieuses que Mme Brinon faisait pour ses élèves, et leur avait fait jouer Racine, Andromaque même : haute imprudence, qui révéla Saint-Cyr et tout ce qu’il contenait sous son calme apparent. Elles ne jouaient qu’entre elles, et n’en furent pas moins surprenantes d’ardeur et de passion. Ce n’était pas un jeu, c’était la nature même à son premier élan. Il