Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’arrête pas en chemin. Celui du sacré cœur prépara celui de la naissance du prince de Galles. Le roi Jacques assurait que dans ce grave événement il n’était rien, que la Vierge était tout, que c’était un don de sa grâce. La mère de la reine, Laura Martinozzi, duchesse de Modène, retirée à Rome et près de mourir, lui avait fait, à Lorette, un vœu et des offrandes pour qu’elle sauvât par cet événement l’Angleterre catholique. Elle avait envoyé à Londres des reliques. Dès que la reine les eut au cou, elle conçut.

Quoi qu’il en soit, cette reine réfugiée ne déplut pas. Elle avait été mariée par le roi. Elle était très Française, tout autant qu’Italienne. Reçue par lui, elle parla à ravir, ne disputa pas sur l’étiquette, lui dit qu’elle ferait tout ce qu’il voudrait. Elle était jeune encore relativement à Mme de Maintenon ; elle intéressait par cet enfant à qui l’Europe faisait la guerre. Elle arrivait touchante comme une princesse de roman persécutée. Elle n’était que trop romanesque. Elle avait de l’esprit, mais pas plus de bon sens que son mari. Elle le montra par l’accueil excessif qu’elle fit à Lauzun, galant des temps antiques. Ce fat suranné l’éblouit. Elle le prit pour son chevalier. Jacques partagea son engouement. Bégayant, barbouillant, il paraissait comique. Il le devint encore plus quand on sut que sa première visite à Paris avait été pour les jésuites de la rue Saint-Antoine, à qui il dit : « Je suis jésuite. » Puis il alla dîner chez son ami Lauzun.

Donner à cet homme-là une armée pour retourner en Angleterre, cela semblait un acte fou. Louvois posa la chose ainsi et résista. C’était bien le moment de s’affaiblir quand on allait avoir toute l’Europe sur les bras ! Le frère de Louvois, archevêque de Reims, se moquait hardiment de Jacques. « Voilà un bon homme, dit-il, qui a sacrifié trois royaumes pour une messe ! » Tant que Louvois serait au gouvernail, les jacobites devaient espérer peu. La reine le sentit, et se remit entièrement à l’ennemie de Louvois, à Mme de Maintenon. Elle reçut chez elle deux personnes qui lui appartenaient. Elle accepta pour gouverneur de Saint-Germain un M. de Montchevreuil, le plus ancien ami de Mme de Maintenon. Sa femme, longue et sèche, lui servait de police ; elle surveillait les dames, les princesses, épiait leur conduite, l’avertissait de tout. Elle put lui répondre de la reine d’Angleterre[1].

  1. Le badin Hamilton, dans sa futilité brillante, donne à peine l’extérieur de la cour de Saint-Germain. Plus il tache de rire, plus on s’attriste. C’est pitié de le voir, au prologue de sa Zénéide, s’efforcer d’égayer la belle terrasse en amenant des nymphes, des déesses mythologiques, les songes des Mille et Une Nuits. Les nymphes qui passaient et repassaient, c’étaient les robes noires des quarantes prêtres et jésuites que logeait le château. Les lords et autres réfugiés, plus tristement encore, campaient, comme ils pouvaient, aux greniers de la ville.