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ébranler les forces de la dynastie, et son plus fidèle allié n’allait pas tarder à la trahir ; je veux parler de saint Janvier.

Sa fête approchait, c’était un grand émoi dans la ville de Naples ; pour qui le saint infaillible prendrait-il parti ? Était-il Italien ? était-il bourbonien ? Grave question qu’on se posait partout et que nul n’osait résoudre par avance. Saint Janvier est l’idole des Napolitains, et ils sont fermement persuadés que Dieu ne règne aux cieux que par sa permission. Une fois cependant, pris de colère subite contre leur saint bien-aimé, ils le détrônèrent et à sa place choisirent saint Antoine pour patron de Naples. C’était en 1799, saint Janvier s’était fait démocrate ; son sang s’était liquéfié aux cris de vive la république ! et quand la réaction conduite à main armée par le cardinal Ruffo vint à Naples se livrer à des massacres dont le souvenir n’est pas encore effacé aujourd’hui, on se rappela l’attitude républicaine de saint Janvier, et on le destitua comme un simple préfet ; on parla même de le jeter à la mer et devant sa statué on cria : A bas le jacobin ! mais trop de liens intimes, tenant aux fibres les plus tendres du cœur, attachaient les lazzaroni à leur patron ; cette séparation était trop pénible pour des âmes si unies. Les uns se repentaient de leur violence, l’autre promit de n’être jamais qu’un bon royaliste, et la paix fut faite. On renvoya saint Antoine, et l’on remit saint Janvier en possession de tous ses honneurs, titres et privilèges. — On sait en quoi consiste le miracle. Recueilli après le martyre du saint, son sang, renfermé dans une ampoule et desséché, se liquéfie et bouillonne. Le saint fait attendre plus ou moins longtemps ce prodige, selon qu’il est plus ou moins content de la politique et du gouvernement ; mais il n’y a pas d’exemple qu’il l’ait jamais refusé, même au général Championnet, qui ne lui donnait que dix minutes pour l’accomplir. En présence des graves événemens qui avaient remué le royaume des Deux-Siciles, quelle allait être l’attitude de saint Janvier ?

Le jour de sa fête, vers dix heures du matin, je me rendis à la cathédrale ; c’est une grande église restaurée dans le lourd goût italien de la décadence, où l’art est absolument remplacé par la valeur et la rareté de la matière première. Il y a là un régiment de statues en argent dont tout le prix est dans le poids. Dans la chapelle de saint Janvier, qui est à droite, la foule s’entasse et se presse ; il fait très chaud ; une fade odeur de sueur plane au-dessus de toutes les têtes agitées ; vers la balustrade qui protège le maître-autel, on se bat pour avoir les meilleures places. Les femmes me paraissent être en majorité, quelques-unes portent de tout petits enfans qui pleurent, et qu’elles font danser sur leurs bras pour les apaiser. On dit la messe ; mais qui l’écoute ? Personne. On est haletant. Quelquefois