Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de livres sterling, l’impôt sur le papier. C’est le point le plus attaqué du budget de M. Gladstone. Le chancelier de l’échiquier a présenté son budget, on le sait, avec un excédant de plus de 2 millions de livres des recettes sur les dépenses, et il a appliqué cet excédant à dégrever d’un penny l’income-tax, et à supprimer l’impôt du papier. M. Gladstone a en cette circonstance agi avec son audace accoutumée. Son plan soulevait plusieurs graves questions. D’abord le surplus de ressources qu’il annonçait était-il bien réel ? Des financiers sérieux de la chambre des communes le contestent. Puis, en admettant la réalité du surplus, l’abolition de l’impôt sur le papier est-elle le meilleur emploi qu’on en puisse faire ? Les adversaires de M. Gladstone disent que l’impôt du papier existe, que la nation, qui y est accoutumée, le supporte sans murmurer, qu’une fois aboli, il ne pourra plus être rétabli, que si les prévisions du ministre étaient trompées ou par une insuffisance de recettes ou par un accroissement extraordinaire de dépenses, le droit sur le papier étant supprimé, il faudrait chercher des ressources dans l’augmentation d’un autre impôt, dans la taxe aggravée et si odieuse du revenu. On voit là l’esprit du système que M. Gladstone a récemment adopté de concert avec MM. Bright, Milner Gibson et l’école de Manchester, système qui tend à l’abolition des impôts indirects, et se propose au contraire de rendre permanente la taxe directe du revenu. Par cette concession à l’école de Manchester, M. Gladstone attaque et irrite les intérêts représentés par le parti tory. La situation des tories dans cette circonstance était compliquée et bizarre. Leurs chefs sont sincères quand ils protestent qu’ils ne désirent point arriver en ce moment au pouvoir ; mais ils forment déjà bien près de la moitié de la chambre des communes, et le coup porté à leur politique par M. Gladstone était trop direct pour qu’ils pussent renoncer à se défendre et refuser le combat. Cependant M. Gladstone passe pour avoir imposé son budget à ses collègues, à lord Palmerston surtout, qui ne l’approuvait point, par la menace de sa démission. Le ministère s’étant ainsi, bon gré, mal gré, rallié au plan de M. Gladstone, la retraite du cabinet tout entier devait être la conséquence du rejet de l’abolition du droit sur le papier. Une crise ministérielle dans les circonstances présentes ne convenait point à lord Derby et à M. Disraeli ; la chute de lord Palmerston surtout eût été contraire au sentiment public, qui eût mal accueilli la formation d’un cabinet tory. La question ministérielle s’est donc engagée au milieu de circonstances singulières, et il semble que l’opposition, malgré le nombre imposant de ses membres, retenue par un secret embarras, n’ait point apporté dans la lutte cette ardeur qui entraîne la victoire. M. Disraeli, qui a eu à conduire cette difficile manœuvre, a cru devoir s’abstenir de contester le surplus de ressources qu’annonçait le budget de M. Gladstone. Ses amis et lui, admettant la réalité du surplus, n’ont porté le débat que sur l’usage qu’il en fallait faire. Au lieu de la suppression de la taxe du papier, ils ont proposé, par l’organe de M. Horsfall, le dégrèvement des droits qui frappent le thé. Assurément la proposition des tories était la plus conforme à