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Nous n’eussions eu l’apparence de faire que ce que nous voulions faire en réalité, nous n’eussions eu l’air de céder à aucune pression ; nous aurions quitté la Syrie simplement et dignement, comme nous le ferons en effet, avec le sentiment et l’honneur d’avoir rempli un devoir d’humanité, sans avoir par conséquent à essuyer aucun échec d’influence.

Les représentans du pays étant rarement mis en mesure de parler avec opportunité sur les questions qui nous intéressent, on s’explique, tout en le regrettant, le peu d’activité des travaux parlementaires et les longs silences de notre chambre des députés. On s’explique aussi, puisque nous sommes condamnés aux choses rétrospectives, ce goût qui entraîne les esprits distingués et le public éclairé à leur suite vers les souvenirs du régime constitutionnel dont la France a fait l’essai pendant trente-cinq ans. Le travail politique du temps présent s’accomplit de la sorte avec une application soutenue dans les voies de l’histoire presque contemporaine. C’est ainsi que M. de Viel-Castel vient d’ajouter à son Histoire de la Restauration deux volumes nouveaux où l’on rencontre cette sûreté d’informations et cette droiture d’appréciations qui marqueront à son œuvre une place élevée parmi les livres où la France devra s’instruire à de nouveaux efforts vers la liberté : M. de Nouvion a aussi fait un pas de plus dans l’instructive et consciencieuse histoire qu’il a entreprise du règne de Louis-Philippe ; mais parmi ces sérieuses publications il faut signaler surtout celle que M. de Barante a consacrée à la mémoire de Royer-Collard. Lorsque les institutions libérales auront enfin pris racine dans notre pays, Royer-Collard est un des grands noms que la France devra compter parmi les fondateurs de sa liberté. C’est entre nos maîtres un des plus robustes et des plus sains. M. de Barante nous donne de ce puissant esprit ce que nous devions avoir le plus à cœur de conserver ses discours. M. Royer-Collard, en faisant allusion aux opinions recueillies de plusieurs orateurs de son temps, plaignait le sort de leurs discours, qui avaient, suivant lui, perdu le feu et la saveur qu’ils tenaient des circonstances au milieu desquelles ils avaient été prononcés ; il semblait croire qu’ainsi se faneraient les restes de son éloquence. M. Royer-Collard se trompait : il n’était pas seulement orateur, il était écrivain ; ses discours étaient assurés de vivre, non-seulement par la hauteur et la force des pensées, mais par la pure et mâle concision du style. M. de Barante n’en a pas moins rendu à ces belles harangues un service dont lui seront reconnaissans tous les amis des lettres libérales en les encadrant dans un intéressant récit qui les replace sous la lumière dont les éclairaient les événemens et le milieu politique d’où elles sortirent. Nous possédons désormais, Royer-Collard, non-seulement l’un des maîtres vigoureux de l’éducation politique de la France, mais l’un des derniers classiques de notre littérature.

Malgré la torpeur politique où nous languissons, nous ne tarderons point, nous l’espérons, à voir s’ouvrir, à propos du vote du budget, la discussion la plus urgente et la plus nécessaire à notre instruction qui puisse être engagée cette année : nous voulons parler de la discussion de notre situation financière.