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c’est la protection de l’industrie de la pêche, d’une des industries qui les font vivre quand ils ne sont pas au service de l’état, d’une industrie où se forment des recrues si utiles, si nécessaires à la puissance navale de la France. La convention supplémentaire de novembre 1860 a substitué, sur l’entrée des poissons étrangers, à un droit presque prohibitif un droit qui, suivant nos amiraux, ne protégera plus nos pêcheurs de la Manche contre la concurrence des pêcheries anglaises. D’après eux, par conséquent, cette convention ne consacre pas seulement une injustice contre une portion notable et intéressante de nos inscrits maritimes ; mais en décourageant nos pêcheurs, en détournant nos populations de la Manche d’une industrie de mer qui employait et recrutait un grand nombre de bras, elle, compromettrait un Intérêt politique de premier ordre, elle affaiblirait la réserve, déjà trop restreinte, où la marine de l’état prend ses matelots.

Nous le répétons, cette thèse est simple, plausible, spécieuse : elle prête à des développemens émouvans si l’on songe à l’intéressante et intrépide population maritime dont elle plaide la cause, à des considérations hautes et fortes si l’on prend garde aux grands intérêts politiques engagés dans la question du recrutement de nos flottes. Nous sommes d’autant moins suspects dans les hommages que nous rendons au talent et à la chaleur communicative déployés par nos braves amiraux dans la défense de cette cause qu’au fond nous ne partageons point leur opinion. Nous croyons leurs alarmes exagérées ; nous pensons que le droit stipulé dans la convention de novembre est suffisamment protecteur. Les règlemens imposés à nos pêcheurs au nom des intérêts de l’inscription maritime nous paraissent oppressifs, et l’industrie de la pêche n’aura qu’à gagner à s’en voir affranchie en compensation de l’excès de protection qu’on lui retire. Enfin la condition même de l’inscription maritime, s’il fallait dire toute notre pensée, place nos hommes de mer sous un régime si contraire au droit commun et si rigoureusement exceptionnel, qu’il nous semble que les esprits prévoyans ne devraient plus croire à sa longue durée, et feraient bien d’aviser à trouver d’autres combinaisons pour assurer la puissance maritime de la France. Personnellement, nous nous rallierions donc volontiers aux argumens présentés par M. Rouher avec un remarquable talent ; mais on nous traitera d’esprits chimériques, et nous le souffrirons avec résignation, car nous reconnaissons que notre avis est loin encore d’être celui de la majorité touchant cette importante et délicate matière. Quoi qu’il en soit, la seule conclusion que nous voulions, pour le moment, tirer de ce débat sur la pêcherie dont le sénat a été le théâtre, est celle-ci : la discussion, a été très belle, elle a montré la profondeur et la hauteur avec lesquelles nous pouvons en France discuter les grands intérêts du pays, les exposer au public, et y associer l’opinion, sérieusement éclairée par une controverse contradictoire. Malheureusement tout ce travail d’information et d’argumentation, toute cette éloquence, tout ce talent ont été prodigués en pure perte, car, au lieu de précéder et de déterminer la solution de la question, ils ne viennent