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restreinte. Ce dernier pays aurait pu cependant, s’il avait conservé ses forêts, devenir le centre d’un marché important, surtout en bois de marine. L’amirauté anglaise a même entretenu à Livourne des agens spéciaux pour en fournir à ses arsenaux ; mais ce commerce est bien tombé depuis quelques années, et c’est à peine si Livourne exporte maintenant 3,000 stères de bois de construction, dont les deux tiers en Angleterre, et le reste en France.

Il en serait de même de la Turquie, si l’on y trouvait quelque sécurité, car elle renferme une étendue de 8 millions d’hectares de forêts à peu près inexploitées. Le gouvernement turc a bien songé à tirer parti de ces richesses naturelles, lorsque, galvanisé par la guerre d’Orient, il secoua pendant un moment sa torpeur habituelle. Il demanda même à la France de mettre à sa disposition des agens pour étudier les ressources forestières du pays, pour y organiser des exploitations et y créer un personnel spécial. Deux fonctionnaires de l’administration des forêts, MM. Sthême et Tassy, furent envoyés en Turquie, et depuis quatre années ils se dévouent à former des élèves[1], à étudier les projets de travaux publics, à préciser les bases d’un code rural et forestier : tâche difficile et ingrate dans un pays où il n’y a ni organisation administrative, ni code civil, où l’on ignore comment peut s’acquérir et se transmettre la propriété foncière, où l’on ne sait même pas à qui elle appartient, mais tâche bien digne de tenter l’ambition de la France, et qui prouvera une fois de plus qu’après avoir versé son sang pour sauver la Turquie, elle n’a reculé devant aucun effort pour la régénérer.

Les États-Unis sont pour la France un centre d’approvisionnement des plus remarquables. Les forêts y sont, quant aux essences, à peu près semblables à celles de nos climats, mais elles ont un aspect grandiose que ne présentent pas les nôtres. Les arbres atteignent sur ce sol vierge des dimensions prodigieuses, et il n’est pas rare, surtout en Californie et dans l’Orégon, de trouver des pins de 100 mètres de hauteur sur 10 mètres de circonférence. Ces arbres gigantesques sont employés dans la marine, et servent de fret de retour aux bâtimens qui transportent des émigrans. Le territoire de l’Amérique du Nord n’était autrefois qu’une vaste forêt sillonnée d’immenses cours d’eau et entrecoupée, de prairies et de savanes.

  1. Une école forestière a été créée à Constantinople et placée sous la direction spéciale de M. Tassy. Le Journal de Constantinople vient de nous apprendre que des examens de sortie ont eu lieu pour la première fois à la fin de l’année 1860, en présence du grand-vizir lui-même et de plusieurs autres grands dignitaires. Neuf élèves ont été reconnus aptes à être employés comme agens forestiers et vont être chargés de la gestion de 100,000 hectares de forêts, dont on espère un revenu annuel de 6 millions de francs »