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et les abus des exploitations[1]. La superficie boisée de la Russie d’Europe, qui était en 1783 de plus de 150 millions d’hectares, c’est-à-dire du quart environ de la superficie totale, a bien diminué depuis cette époque. Les forêts d’ailleurs sont très inégalement réparties sur toute l’étendue de ce vaste empire. Dans le nord, elles forment des massifs immenses et, couvrent des gouvernemens tout entiers, tandis que dans les provinces méridionales elles font si absolument défaut, que les habitans n’ont pas d’autre combustible que la paille, le fumier, les joncs et les bruyères. Dans la Finlande, la Lithuanie, la Russie-Blanche, la Petite-Russie, l’extrême abondance et la pénurie se touchent en quelque sorte. C’est ainsi qu’à Moscou le bois de chauffage se paie 30 pour 100 plus cher qu’à Paris, tandis qu’à quelques lieues de là il se vend à peine le dixième de ce prix. Les essences qui forment les forêts sont le pin, le sapin et le mélèze, qui s’y trouvent tantôt à l’état pur, tantôt mélangés de bouleaux, de chênes, de hêtres ou de tilleuls. Comme ceux de la Russie, les sapins de la Suède et de la Norvège sont très estimés. Ils ont dans ces contrées froides une croissance très lente, mais en même temps très régulière, qui leur donne une force et une élasticité très précieuses pour la mâture des vaisseaux. Malheureusement ces qualités exceptionnelles ont provoqué des exploitations imprévoyantes ; les magnifiques forêts qui couvraient les flancs des Alpes Scandinaves s’appauvrissent de jour en jour, quoique la contenance en soit encore très considérable, puisqu’on ne l’évalue pas à moins de 35 millions d’hectares pour la Suède seulement. Le déboisement serait pour ces pays une véritable calamité, car une fois que la vie végétale est détruite, elle ne se réveille plus sur ce sol glacé. L’Allemagne et l’Italie fournissent également une certaine quantité de bois à la France, mais dans une proportion relativement

  1. Dans un ouvrage publié en 1860, les Forces productives, destructives et improductives de la Russie, un agronome français, M. A. Jourdier, confirme de tout point les appréciations faites déjà en 1846 par M. de Haxthausen : « Au lieu de ce grand pays à bois immenses dans lequel on croit arriver, on ne voit partout que forêts rares et saccagées par le vent ou par la hache du moujik, on ne rencontre que bois coupés plus ou moins nouvellement défrichés, il n’y a peut-être plus un seul endroit en Russie où il n’y ait à déplorer la dévastation de l’homme ou celle du feu, ces deux mortels ennemis de la sylviculture moscovite. Ce que nous disons est si vrai que les esprits clairvoyans en sont déjà à prévoir une crise qui pourrait bien être terrible, si la découverte d’un plus grand nombre de gisemens d’un nouveau combustible, comme la houille ou l’anthracite, ne venait bientôt en atténuer les futurs effets. S’il était possible d’élever quelques doutes sur ce que nous avançons ici, nous citerions le déboisement de toutes les rives du Volga, dont on paie aujourd’hui si cher les conséquences…, La Russie n’est. donc pas, comme on le croit généralement en Occident, une sorte de vaste forêt vierge, recelant des arbres gigantesques pour la construction et du bois de chauffage en quantité incommensurable : il s’en faut du tout au tout. »