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aucune route, de construire aucun pont, de défricher aucun bois, sans avoir obtenu d’abord l’assentiment de l’autorité militaire. Cette mesure a pour objet de fermer l’accès du pays aux armées ennemies et de multiplier sous leurs pas les obstacles naturels tels que ruisseaux, rivières, forêts. C’est une question de salut public qui, aux yeux du législateur, doit primer toutes les autres ; ce n’en est pas moins une servitude fort onéreuse qui se traduit, pour les propriétaires de cette zone, en un sacrifice pécuniaire très important. Ainsi, pour ne parler que des forêts, on a calculé que l’impossibilité d’ouvrir certaines routes, l’obligation de faire passer les autres près des points de défense, l’interdiction de les empierrer, causent annuellement au pays une perte sèche de plus de 20 millions[1]. C’est un impôt indirect qui n’est pas inscrit au budget et que la France paie sans le savoir, pour se préserver des invasions étrangères. Ne serait-ce pas le cas de dire que le remède est pire que le mal, puisque depuis 1815 seulement cette crainte nous a coûté, sans compter les intérêts, près d’un milliard, c’est-à-dire plus que l’invasion elle-même, si elle avait pu avoir lieu en présence de notre formidable armée ? C’est d’ailleurs un remède de l’efficacité duquel on a malheureusement le droit de douter, puisqu’il n’est pas une seule de nos frontières qui, une fois nos armées détruites, ait jamais pu opposer la moindre résistance.

Pour en finir avec les routes de terre, il faut dire un mot d’une question qui soulève chaque année les réclamations des propriétaires de bois et dont les conseils-généraux sont périodiquement saisis par des mémoires et pétitions émanant de la Société forestière[2]. C’est celle des impôts extraordinaires pour l’entretiennes chemins vicinaux. La loi de 1836, à coup sûr l’une des plus utiles et des plus fécondes qui aient été faites depuis trente ans, impose aux communes l’obligation d’entretenir en bon état de viabilité les chemins vicinaux de grande et de petite communication, et les autorise à y affecter soit des journées de prestation, soit des centimes additionnels, payés au prorata du montant des contributions directes. Les forêts, comme les autres propriétés, sont soumises à cet

  1. Cette zone comprend en effet les départemens les plus boisés, les Ardennes, les Vosges, le Haut et le Bas-Rhin, la Moselle, la Meurthe, Je Jura, le Doubs, les Hautes et Basses-Alpes, le Var, les Pyrénées et tout le littoral ; elle renferme au moins 5 millions d’hectares de forêts sur les 8 que contient la France. En évaluant à 4 stères seulement la production moyenne par hectare, et à 1 fr. par stère l’augmentation du prix du transport, on arrive au total de 20 millions, que le pays paie tous les ans en sus de ce que lui coûte l’armée. »
  2. Cette société, organisée depuis un certain nombre d’années et composée de propriétaires de bois, d’agens forestiers et d’autres personnes que ces questions préoccupent à bon droit, s’est donné pour tâche la défense des intérêts forestiers.