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l’exploitation de certains cantons, et abandonnés ensuite, quand les coupes se trouvent portées ailleurs.

Il est fort curieux de suivre les procédés employés pour amener les arbres qu’on vient d’abattre et de façonner jusqu’à l’endroit où les voitures viennent les prendre. Les bois de feu se transportent à dos d’homme, les bois de service se traînent sur le sol avec deux bœufs attelés à l’avant-train d’un chariot ; tantôt on les fait glisser par leur propre poids sur le flanc des montagnes, tantôt on fait usage de lançoirs et de chemins de schlitte. Le lançoir est un canal demi-cylindrique d’un mètre de diamètre à peu près, fabriqué avec des perches droites et unies, et dirigé du haut en bas de la montagne ; on y jette les bois, qui descendent jusque dans la vallée emportés par leur poids. Les chemins de schlitte ont quelque analogie avec les lançoirs. Suivant toutes les sinuosités de la montagne et quelquefois jetés comme des ponts à claire-voie au-dessus des ravins et des précipices, ils sont formés de bûches parallèles distantes les unes des autres de 40 centimètres, et maintenues en place par des piquets fichés en terre. Le transport se fait au moyen d’un traîneau plat (schlitt) pouvant recevoir 5 ou 6 mètres cubes de bois, et muni dans la partie antérieure de deux brancards recourbés qui servent au schlitteur à le diriger. Celui-ci se retient avec les pieds à chaque échelon de cette échelle gigantesque, et arrête en s’arc-boutant la marche de plus en plus précipitée du fardeau qui le pousse. Arrivé au bas de la montagne, le traîneau est déchargé et remonté à vide pour de nouveaux voyages. Malgré les dangers qu’il présente, ce mode de transport est fort économique, et mériterait d’être plus répandu. Depuis fort longtemps en usage dans les Vosges, il a été récemment introduit dans les Pyrénées.

Quoique l’importance d’un réseau complet et bien entretenu de routes forestières n’ait jamais été méconnue, il s’en faut de beaucoup qu’il soit en France assez développé pour permettre à nos bois de s’écouler facilement vers les centres de consommation. Ces routes font souvent défaut dans les forêts communales ou particulières, et même dans les forêts domaniales elles sont insuffisantes pour les besoins du service. Un crédit de 5 millions a été voté dans la session du corps législatif de 1860 pour compléter et améliorer le réseau. Du reste, l’administration forestière n’a pas toujours été maîtresse d’ouvrir des routes partout où le besoin s’en faisait sentir, et souvent elle a été arrêtée par des exigences d’un ordre supérieur. Nous voulons parler des servitudes imposées par le génie militaire, dans l’intérêt de la défense nationale, aux territoires compris dans la zone frontière. On sait que, dans les quarante-huit départemens qui, en tout ou en partie, forment cette zone, il est interdit d’ouvrir