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et l’épitaphe (en grec) que le « grand James Harris » avait composée pour consoler le docteur de la perte d’un chien trop aimé. L’épitaphe fut traduite en vers anglais et précieusement conservée par la jeune élève devant qui ces deux hommes éminens discutaient les bases d’une « grammaire philosophique. » Oh ! what conversations ! what correspondences were these ! s’écrie-t-elle naïvement émue, à quarante ans de distance, par ces réminiscences philologiques.

Enfin, après force coquetteries bien peu dangereuses entre cet Adonis de soixante-quatre ans et cette doctoresse, qui, lorsqu’elle le connut, venait d’en avoir seize, — après force petits vers commis, sous le voile de l’anonyme, dans les magazines de l’époque, — apparut sur la scène un personnage nouveau, qui allait, de par la toute-puissance de l’or, changer complètement la face des choses.

Après la mort de sa tante Anna-Maria, Hester et sa mère étaient naturellement restées chez le mari qu’elle laissait veuf, — l’oncle Thomas, le docteur Thomas, un savant jurisconsulte. C’était le cas de lui rendre agréable le nouvel intérieur où elles étaient appelées à régner ; mais, soit qu’elles s’y prissent mal ou que le savant docteur fût particulièrement sensible au voisinage de la beauté, une charmante veuve, dont les domaines jouxtaient le sien, fit naître en lui certaines idées dont le mariage d’Hester devait être la conséquence naturelle. Un beau jour en effet, il revint de Londres, vantant le singulier mérite d’un jeune homme avec lequel il s’était récemment lié, et qu’il déclarait être le type du vrai sportsman, Hester, à cet éloge, voulut sourire ; elle reçut une bonne semonce, et dès le lendemain M. Thrale se présenta, muet aspirant à la main de la jeune savante. Ce sportsman modèle était tout simplement le fils d’un des plus riches brasseurs de Londres. L’oncle Thomas l’avait rencontré dans un de ces joyeux intérieurs légèrement équivoques où la bonne et la mauvaise compagnie se donnent volontiers rendez-vous, et il l’amenait pieds et poings liés à cette nièce pauvre qu’il voulait richement établir, pour se marier ensuite lui-même tout à son aise et sans remords de conscience.

Fils de parvenu, Thrale avait été élevé avec cette recherche particulière que mettent en Angleterre les plébéiens enrichis à placer leurs enfans sur le même pied que ceux des plus fiers représentans de la haute caste. Ses prétentions n’en parurent pas moins tout d’abord très extraordinaires à la noble Hester et même à son père, qui ne voulait pas, disait-il, échanger sa fille contre un baril de porter… L’oncle s’entêtant de son côté, une brouille s’ensuivit entre les deux beaux-frères. Hester fut ramenée à Londres, et le docteur Thomas épousa l’aimable voisine dont il s’était épris. Nouveau déboire,