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semblait le voir, l’œil torve, les poings fermés, ajoutant l’emphase du geste à l’emphase de la parole, réclamer pour les ridicules véniels et les inoffensives aberrations de celle qu’il appelait « sa maîtresse » (et, en tout bien tout honneur, cela va sans le dire) l’indulgence que l’historien de l’Angleterre moderne a prodiguée aux crimes et aux rapines des Hastings et des Clive. Tel a été notre point de départ. Nous révisons un arrêt qui nous semble injuste. À une mémoire trop insultée, nous accordons mieux que l’oubli pur et simple, et tout en la réhabilitant dans la mesure du possible, nous aurons entrevu l’époque, assez curieuse, où cette réhabilitation eût été ce qu’on appelle maintenant une « actualité. »


Hester Lynch Salusbury était de noble race. Sa généalogie remonte jusqu’à un certain Adam de Saltzbourg (fils d’Alexandre, duc et prince de Bavière), lequel vint s’établir en Angleterre avec Guillaume le Conquérant. Elle appelle agréablement cet ancêtre « le père Adam, » et ne se fit pas faute, passant à Saltzbourg au retour d’un voyage en Italie, de montrer ses parchemins au collège héraldique de cette ville, qui les reconnut pour bons et valables. Venait ensuite, à quatre ou cinq générations de là, un Salusbury (Henri le Noir), fait chevalier sur le champ de bataille par Richard Cœur de Lion, et qui, en mémoire des trois émirs prisonniers dont la capture lui avait valu cet honneur, avait placé trois croissans sur ses armoiries. Ce fut lui qui, revenu des croisades, s’établit dans le pays de Galles et y construisit le manoir de famille, Llewenney-Hall[1]. Un lion de bronze décorait la principale tour du château. Le fils de Henri le Noir plaça également sur son écu cet animal symbolique, et, durant la guerre d’York et Lancastre, à la grande bataille de Barnet, un de ses ennemis, auquel il venait d’accorder la vie après l’avoir renversé à ses pieds, levant les yeux sur ce blason bien connu : Sat est prostrâsse leoni, s’écria-t-il avec un merveilleux à-propos classique. Vraie ou non, la chronique fut acceptée, et ces mots latins devinrent la devise des Salusbury.

Après des fortunes diverses, compliquées d’alliances illustres et de grands revers, cette antique famille se trouvait, au premier tiers du XVIIIe siècle, représentée par un cousin et une cousine qui se marièrent l’un à l’autre. Le cousin était bon vivant et dépensier. La dot de la cousine (10,000 livres sterling, belle dot pour ce temps-là) suffit à peine à éteindre les dettes que son mari avait contractées avant de l’épouser ; ceci fait, les jeunes époux, complètement apauvris, et réduits pour vivre, en attendant certains héritages, à une

  1. Llew, en gallois, signifie lion.