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comprend assez, une religion positive n’a pas d’autre origine possible qu’une révélation : elle est nécessairement une histoire de l’intervention de Dieu dans les destinées humaines, le récit des actes par lesquels Dieu à créé et sauvé le monde ; elle est cela, ou elle n’est rien. On voit déjà que tout dans la religion n’est pas religieux. Il y a dans toute religion une foule d’élémens historiques, physiques et métaphysiques, au sujet desquels le dogme pourra entrer en conflit avec la science. Toutefois ce n’est plus de cet antagonisme que je veux parler ici. Le sentiment religieux a aussi une action critique ; lui aussi, il peut entrer en lutte avec la religion.

Tant que l’autorité du prêtre ou du livre conserve son prestige, le fidèle reçoit sa religion toute faite et sans distinguer ; mais une fois que l’autorité a été ébranlée, l’homme, s’il ne rejette entièrement ses premières croyances, ne veut plus du moins les accepter que sous bénéfice d’inventaire. Il ne conserve que celles qui l’éclairent ou le touchent, celles qui se recommandent à son esprit ou à son cœur, celles en un mot qui donnent une satisfaction à ses besoins religieux.

Le sentiment religieux devient ainsi la mesure de la vérité religieuse. Il accueille tout ce qui dans la religion s’adresse à l’âme, tout ce qui la nourrit et la fortifie, tout ce qui l’enlève vers l’infini et l’idéal, tout ce qui l’unit à Dieu. Il s’approprie tout cela, mais cela seulement. Ce qui le laisse indifférent lui devient importun. Il y voit un élément étranger, inutile, arbitraire. Il rejette, à ce titre, les doctrines purement spéculatives aussi bien que les faits purement merveilleux. L’homme religieux veut que sa religion soit tout entière religieuse, c’est-à-dire qu’elle se trouve tout entière en rapport direct avec la piété, et, pour ainsi parler, qu’elle porte à plomb sur la conscience. Plus sa foi va se purifiant, plus aussi il élimine de sa croyance les dogmes qui, n’ayant de racine ni dans la nature divine, ni dans la nature humaine, semblent par cela même n’avoir pas de raison d’être.

À première vue, cette émancipation graduelle de la foi et ce progrès correspondant de la religion dans les voies du spiritualisme paraissent constituer un procédé naturel, au moyen duquel les croyances et l’esprit humain pourraient se maintenir dans un constant équilibre. On s’imagine que toutes les difficultés sont résolues et l’on croit entrevoir l’avenir religieux de l’humanité dans une espèce de rationalisme chrétien ou de christianisme rationnel, qui, sans exclure la ferveur, laisserait à la pensée toute sa liberté.

Je ne demande pas mieux pour ma part, mais je ne puis m’empêcher de demander avec quelque inquiétude si le rationalisme chrétien est bien une religion. Ce qui reste dans le creuset après l’opération