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mais une désignation générale qui embrasse des églises, des sectes, des croyances fort diverses. Cependant ces églises ont quelque chose de commun : elles sont d’accord pour chercher l’Évangile à sa source primitive et authentique, et aucune d’elles ne se vante d’avoir si bien trouvé qu’il ne lui reste plus rien à apprendre. Il n’est pas d’église protestante qui songe à se donner pour infaillible. Il en résulte qu’aucune ne peut offrir son interprétation de l’Évangile comme définitive. De là pour les protestans la faculté de se poser les questions les plus graves, d’ouvrir l’enquête sur leurs croyances traditionnelles, de revenir sur des doctrines admises, de tout examiner et de tout discuter, sans entrer en contradiction avec le principe même de leur foi. Le christianisme, pris dans son sens abstrait, est seul en dehors de leurs discussions ; la manière de le comprendre reste toujours pour eux ce qu’on peut appeler une question ouverte.

D’ailleurs, il ne faut pas l’oublier, ce qui est ébranlé en ce moment dans le protestantisme, ce n’est pas la Bible ; mais la superstition de la Bible ; ce n’est pas l’Écriture comme document historique du christianisme, mais l’Écriture comme autorité infaillible ; ce ne sont pas les livres saints comme source de grandes pensées et de saintes résolutions, mais ces livres considérés comme règle absolue de ce qu’il faut penser et de ce qu’il faut faire. On le voit donc : si le mouvement dans lequel le protestantisme est emporté est une crise sérieuse, cette crise n’est peut-être pas sans issue. Il y a de quoi s’effrayer sans doute, car, lorsque les oracles se taisent tout à coup, le silence est grand qui se fait dans le monde. On ne peut se dissimuler non plus qu’avec l’infaillibilité du texte disparaîtront bien d’autres choses. Et toutefois il ne semblerait nullement impossible que les habitudes religieuses des protestans se continuassent en se modifiant, si derrière les questions présentes on ne voyait s’en former rapidement de nouvelles.

Pourquoi se le dissimuler ? Ce qui est en péril au fond, ce n’est pas le protestantisme, c’est le christianisme, c’est la religion même. La religion naturelle n’existe que dans les livres. Les religions qui vivent et qui agissent sont des religions positives, c’est-à-dire des religions qui ont une église, des rites, des dogmes particuliers. Que sont ces dogmes ? Pris dans leur sens intime, ce sont autant de solutions des grands problèmes qui ont toujours inquiété l’esprit de l’homme : l’origine du monde, celle du mal, l’expiation des fautes, l’avenir de l’humanité. Les doctrines d’une religion sont une métaphysique révélée.

Considéré, dans sa forme, le dogme c’est le surnaturel, — non-seulement parce que les religions sont nées dans un temps où l’imagination, avide de merveilles, se mêlait naïvement à tout ; mais, on le