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ils lèvent les yeux au ciel comme si la foi chrétienne allait disparaître de la terre.

Il en est à peu près de même du protestantisme. La réformation a donné à l’Écriture la place que l’église et la tradition occupaient auparavant. Le nouveau principe depuis lors n’a cessé de s’étendre. La théologie protestante du XVIIe siècle fut infiniment plus servile dans son respect de la lettre que ne l’avaient été Luther et Calvin. On ne crut pouvoir jamais aller assez loin dans le culte de la Bible. On en fit un code, un pape, un oracle, un Dieu écrit. On revendiqua l’inspiration pour chaque mot du livre, pour les points-voyelles mêmes du texte hébreu. On chercha dans l’Écriture non-seulement ce qui est nécessaire au salut, mais toutes les vérités, toutes les sciences. On y puisa des directions pour toutes les occasions, des règles pour tous les actes de la vie privée ou publique. On y voulut trouver la loi de tout développement et de toute vie, le dernier mot de l’homme sur Dieu et de Dieu à l’homme. On érigea ce livre ou, pour mieux dire, ces livres, écrits dans des temps si éloignés, pour des besoins si différens des nôtres, par des hommes d’une autre race et d’une autre civilisation, on les érigea en mesure absolue du bien et du beau, du vrai et du juste. Il faut, pour se rendre compte des conséquences à la fois logiques et monstrueuses de ce principe, il faut lire l’histoire du puritanisme anglais, celle du presbytérianisme écossais, celle de quelques sectes récentes, les écrits des hommes qui défendent aujourd’hui encore l’orthodoxie protestante et qui s’imaginent entendre la voix de la Divinité dans le Cantique des Cantiques et lire les destinées du monde dans l’Apocalypse.

On sait déjà comment la science est entrée en lutte avec l’Écriture. Les connaissances physiques et historiques, en se répandant de proche en proche, ont envahi les pasteurs et les troupeaux ; la croyance à l’inspiration a été comme minée dans les esprits, et, à l’heure qu’il est, le protestantisme, pour avoir exagéré l’autorité dont il avait revêtu le saint livre, se voit livré à une crise qui menace son existence. Cette crise vient d’éclater en Angleterre. L’Allemagne en souffre depuis longtemps, et n’en est pas encore sortie. Les protestans français sont tout aussi agités, aussi surpris et aussi impuissans que ceux des autres pays. Il s’agit partout, pour le protestantisme, de défendre un dogme vieilli contre des attaques irrésistibles, ou, entreprise non moins difficile, de se renouveler en se donnant une base plus large, en adoptant un principe plus solide.

Il me semble parfois que le protestant, dans de pareilles circonstances, doit jeter un regard de regret vers l’église telle qu’elle existait avant le XVIe siècle. La réformation a fait beaucoup de bien