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Coleridge, Hare, Arnold, concilier une piété non douteuse avec une sincérité de recherche qui les menait parfois assez loin. L’exemple d’Arnold surtout rassura bien des esprits timorés. Les lecteurs de la Revue connaissent déjà cet homme remarquable, dont le talent n’égalait peut-être point le caractère, mais dont le caractère inspirait le talent, esprit élevé, sincère, trop droit pour sacrifier jamais aucune vérité à aucun système[1]. Éditeur de Thucydide et auteur d’une histoire des premiers temps de Rome, ses études avaient éveillé en lui le sens critique, et il n’avait pas tardé à trouver dans la Bible des difficultés que sa droiture n’hésitait pas à reconnaître et que son bon sens ne lui permettait pas de trancher à la manière des apologistes ordinaires. Il était d’ailleurs un croyant trop convaincu pour admettre que la religion pût recevoir aucun dommage de la science. Il passa sa vie dans des luttes avec les deux partis qui divisaient l’église, mais qui se réunissaient dans leur aversion pour toute libre recherche. Chez les puseyistes, il stigmatisait les tendances rétrogrades, le respect superstitieux de l’antiquité, les prétentions sacerdotales, l’intolérance ; aux évangéliques il reprochait leur ignorance et leur dogmatisme. Arnold représentait l’alliance des sciences historiques et de la foi. Pour trouver l’expression authentique du christianisme, il n’hésitait point à remonter jusqu’au Christ, qu’il s’efforçait de contempler, de saisir dans toute la réalité de sa personne humaine. Jésus de Nazareth n’était pas pour lui un dogme ni même proprement une croyance, mais plutôt, et sans qu’il s’en rendît peut-être tout à fait compte, un ami et un frère, un être de notre race, bien qu’unique et incomparable, le plus grand d’entre les fils des hommes et celui dont l’exemple reste à jamais notre idéal, dont la parole demeure l’éternelle nourriture des âmes affamées. Arnold, pour arriver plus sûrement à lui, ne craignait pas d’écarter tous les voiles ; les formules de la réformation ne lui étaient pas moins importunes que celles des conciles ; il ne se dissimulait pas que des altérations avaient pu s’introduire dans la tradition chrétienne la plus reculée, et sa foi trouvait ainsi un auxiliaire jusque dans la critique qui biffe un miracle du récit évangélique, ou qui retranche un livre du recueil consacré.

Arnold dirigeait l’un des grands établissemens d’instruction publique de l’Angleterre. Il exerçait par son caractère un ascendant extraordinaire sur les jeunes gens qui faisaient leurs études à Rugby. Ceux-ci allaient ensuite à l’université, et y portaient un esprit de recherche et d’audace peu conciliable avec les tendances que

  1. Voyez une étude de M. de Rémusat, Des Controverses religieuses en Angleterre, dans la Revue des Deux Mondes du 1er août 1856.