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sont disposées en grappes au-dessus des boutiques et à la façade des maisons, ou se balancent à des cordes suspendues en travers des rues. Des promeneurs se font aussi escorter par des hommes portant de ces lanternes fixées à l’extrémité d’une perche. L’effet de ces lumières est fort original. La ville est bien éclairée et très vivante dans les quartiers commerçans. On y voit un grand nombre de boutiques bien approvisionnées d’objets supérieurs en qualité à ceux qui se débitent à Nagasaki et à Simoda. Ces boutiques ont leurs enseignes inscrites en caractères chinois sur un poteau ou s’étalant sur une pièce d’étoffe. Des bandes de coton noires ou bleues désignent les maisons de bains. À Yédo, les deux sexes ne sont pas aussi complètement mêlés qu’à Simoda ou à Hakodadi ; il y a quelquefois un paravent dressé entre les hommes et les femmes. Cette séparation n’a cependant rien d’obligatoire, et il n’y a pas plus de pudeur dans la capitale que dans les autres villes. Pendant que lord Elgin et son cortège défilaient à travers les rues, hommes et femmes sortaient des nombreux établissemens de bain, sans le moindre vêtement, pour se mêler à la foule des curieux. Les indigènes ne semblent attacher aucune importance à cette nudité, dont ils ont pris l’habitude dès l’enfance, et des Européens qui ont assisté à leur toilette dans le bain, où ils s’entassent pêle-mêle, assurent que c’est avec la plus complète innocence que rangés en cercle, dans la vaste cuve commune, ils se frottent mutuellement, voisins et voisines, jeunes et vieux, et se rendent de bons offices de propreté. Beaucoup fréquentent les bains deux et trois fois par jour ; d’ailleurs rien de plus minime que le prix : il est évalué à moins d’un centime.

Le quartier opulent, celui où logent les princes, a un aspect beaucoup plus froid que la ville commerçante : il se compose de rues élégantes, mais tristes, larges d’une trentaine de mètres. De chaque côté coule un ruisseau profond de quatre pieds. Les demeures somptueuses que protègent ces sortes de petits fossés sont enfermées par des murailles dont la partie inférieure est faite de gros blocs de pierre brute et de maçonnerie blanchie et ornée de moulures. Au centre s’ouvre une porte peinte en rouge ou en quelque autre couleur voyante, avec un auvent et des ornemens de laque. Ces palais n’ont d’ailleurs rien de remarquable que leur vaste étendue. L’intérieur n’en saurait être décrit, aucun étranger n’ayant encore pénétré dans l’intimité de l’aristocratie japonaise. Le château qu’habite le syôgoun forme à lui seul comme une ville dans la capitale, l’extrémité du grand quartier. Il est situé sur une terrasse qui domine la capitale, et d’où la vue s’étend sur un vaste et magnifique horizon. Un fossé artificiel, large de plus de 50 mètres, l’entoure, et il est enfermé par un mur énorme de blocs de pierre de dimensions presque cyclopéennes, surmonté lui-même d’une palissade en bois