Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seconde, riche en théâtres, en palais, en institutions littéraires, est le Paris du Japon, et la troisième, où réside le micado, souverain spirituel, en est la Rome.

Cinq forts, bâtis sur des îlots de la baie, protègent les approches de Yédo, et dans ces derniers temps de nouvelles batteries ont été construites tout le long de la côte entre la capitale et sa succursale Kanagawa. Les rues de Yédo sont larges, droites et parfaitement propres, mais sans prétentions architecturales. Beaucoup de maisons sont construites en bois, à deux étages, entourées de vérandahs soutenues par des colonnes en bois garnies de cuivre et recouvertes en tuiles ; les Japonais sont de très habiles maçons et charpentiers. Çà et là, un bâtiment plus élevé, en briques à peine cuites, muni de volets en fer, interrompt l’uniformité de la rue ; ce sont des sortes d’entrepôts à l’épreuve du feu, où l’on peut déposer les meubles au premier bruit de la cloche à incendie. Les rues sont coupées par des barrières qui, dans les grandes fêtes et cérémonies, servent à contenir la foule. Lorsque les ambassades anglaise et russe parcouraient les rues de la ville, la population sortait de ses demeures pour s’attacher aux pas des étrangers, sans malveillance, sans cris, mais en quantité considérable. Arrivés aux extrémités des rues, les agens chargés d’escorter les étrangers fermaient les barrières, et le peuple qui avait suivi jusque-là le cortège s’arrêtait à la limite imposée, laissant se former derrière les visiteurs une foule nouvelle. Divers modes de locomotion sont en usage pour parcourir la ville. Les gens riches montent des chevaux généralement petits et vifs, dont on enveloppe la queue dans des espèces de sacs tombant à terre, et qui, au lieu de ferremens, ont des brodequins de paille qu’il faut souvent renouveler. On se fait aussi transporter dans une espèce de palanquin particulière au Japon, et que l’on appelle norimon. Ces véhicules diffèrent des palanquins ordinaires, oblongs, par une forme carrée qui les rend fort incommodes aux étrangers, parce qu’il est impossible de s’y étendre ; on s’y accroupit, les jambes croisées. Il paraît que les gens des classes inférieures n’ont pas le droit de monter à cheval et de faire usage des norimons. Quand ils ne veulent pas aller à pied, ils se font porter par deux hommes dans une espèce de cage des plus incommodes, qui les oblige à s’accroupir les genoux sous le menton. On ne voit qu’en très petit nombre des charrettes traînées par des bêtes de somme. Des chiens sans maîtres errent librement à travers les rues. Ces animaux, sortes d’épagneuls king-charles, semblent jouir d’une immunité particulière : on ne les maltraite pas, on les nourrit à frais communs. M. Oliphant assure même qu’ils ont des gardiens spéciaux et des hôpitaux où on les traite dans leurs maladies. Le soir, de jolies lanternes peintes, aux dessins bizarres, aux couleurs éclatantes,