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cité de ses impressions. Il vivait par la pensée et pour la pensée ; il devait finir comme il avait vécu. Les vicissitudes de sa destinée ne se séparaient pas dans son esprit de celles de la patrie ; il voyait les choses sous les plus sombres couleurs et s’en affligeait profondément. Qu’on appelle ce mal du nom que l’on voudra, le mal de l’ambition, le mal du pouvoir ; ce mal est de ceux qui peuvent s’avouer. Il lui était cruel de penser qu’après avoir mis au service public toutes les forces de son corps et toutes les facultés de son âme, il n’avait en réalité poursuivi qu’une chimère, et qu’au lieu d’une lumière il n’avait eu devant lui qu’un feu follet pour l’égarer dans son chemin, Il ne s’accoutumait point à l’idée qu’après avoir joué un rôle, rempli de grandes fonctions, servi son pays avec une honnêteté exemplaire, fait quelque bruit et quelque bien, il en fût réduit à voir ces titres frappés de nullité, ce bruit s’éteindre, ce bien rester méconnu, cette position acquise s’en aller en fumée, comme si tous ces accidens de sa carrière n’eussent été qu’une ironie du sort. Il lui en coûtait enfin de parler une langue qu’on ne paraissait plus comprendre, de se sentir étranger au milieu des siens, de garder parmi ses contemporains des sentimens qui semblaient appartenir à un autre âge. Voilà son mal ; qu’on le blâme, si on en a le courage, de l’avoir éprouvé. Ces regrets ne sont pas d’une âme vulgaire, et, dût-on en mourir, ils parent mieux une tombe qu’une résignation servie par la sécheresse du cœur.

Ébranlée à ce point, la santé de Faucher ne pouvait plus se remettre ; trois années suffirent pour ruiner ce qui lui restait de forces. Les voyages n’avaient plus pour lui les vertus d’autrefois ; une tristesse incurable l’accompagnait partout et ne lui laissait pas de relâche. Son seul soulagement était d’exhaler ses plaintes : « Vous faites des livres et des gouvernemens, écrivait-il à M. Grote, tandis que nous démolissons nos illusions. » En avril 1854, sa maladie prit un caractère plus alarmant et dégénéra en pleurésie. Il en réchappa avec peine et alla à Viroflay, chez M. Dailly, dont il avait été le précepteur et dont il restait l’ami, passer le temps de sa convalescence. Une amélioration sensible se déclara ; on lui conseilla une nouvelle saison aux Eaux-Bonnes. Le traitement réussit, l’espoir renaissait dans sa famille ; il parlait de reprendre sa plume et formait des plans ; ce n’était qu’une lueur trompeuse. À peine de retour à Paris et sous l’influence de la saison, il éprouva une rechute ; il lutta d’abord et se remit au travail ; à peine put-il corriger, d’une main affaiblie, les épreuves du dernier article qu’il donna à la Revue sur les ressources financières de la Russie[1]. Ce fut son adieu à la

  1. Livraison du 15 novembre 1854.