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pas les conseils, penchaient vers les moyens extrêmes, y poussaient à coups d’aiguillon. Au fond, Faucher était un esprit modéré : il avait un goût sincère pour le régime établi ; il entendait le raffermir par des améliorations opportunes et non l’ébranler par des imprudences. Il sentait dans l’air comme un vertige dont il essayait de se défendre, et, s’appuyant sur la liberté de son mandat, il cherchait sa voie entre ceux qui voulaient tout conserver et ceux qui voulaient tout détruire. Aussi résista-t-il souvent à ses amis de la Marne, et dans la chambre il ne suivit pas sans trouble le parti auquel il tenait par une communion d’origine et de sentimens. Deux actes importans entretenaient dans le pays un état de crise, la réforme électorale et les banquets : il se prononça nettement pour la réforme, dans laquelle il voyait un instrument de salut ; il ne s’associa qu’avec répugnance aux banquets, qui lui semblaient être une arme de guerre. S’il en présida un à Reims, il en atténua le caractère hostile en portant lui-même et en première ligne la santé du roi. Cette modération qui tranchait sur les passions du moment ne l’abandonna pas durant toute la période qui précéda l’écroulement de la monarchie. Dans les réunions particulières de l’opposition, il repoussait ce qui pouvait fournir un aliment aux agitations du dehors. Les résolutions une fois prises, il cédait par une faiblesse assez singulière chez un tel caractère ; c’est ainsi qu’il mit sa signature au bas de la demande d’accusation contre le ministère. Malgré eux, sous l’influence extérieure, les esprits s’emportaient, même dans la chambre. Les fautes étaient diverses, le châtiment allait être commun ; les uns furent frappés pour avoir trop résisté, les autres pour avoir trop agi. Pour tous, hors un bien petit nombre, le tocsin de la révolution de février n’eut que des sons lugubres. Léon Faucher assista avec douleur à la séance où le gouvernement représentatif, abandonné par la force armée, succomba devant une poignée de factieux. L’un des derniers, il quitta cette enceinte envahie et rentra chez lui le désespoir et l’humiliation dans l’âme. Il prévoyait où aboutirait le coup sacrilège que la nation s’était porté à elle-même. Ni sa position, ni ses chances personnelles ne le touchaient autant que les destinées publiques, livrées désormais à toutes les expériences. Tomber sans avoir combattu lui était une douleur intolérable.

Dès le lendemain, il se remit en mouvement, courut chez plusieurs de ses collègues, leur proposa de se retirer dans un des forts environnans, d’y rallier les troupes restées fidèles, et d’y créer, avec les débris de la représentation légale, un point d’appui pour la véritable opinion du pays, violentée et surprise. Ce plan reposait sur une illusion, mais c’était une illusion généreuse ; il en coûta beaucoup à Faucher d’y renoncer. Ses devoirs de député