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arriveront par surcroît. Libres d’agir, ils ne peuvent ni faillir ni s’abstenir sans engager leur responsabilité ; ils sont incessamment mis en demeure de modifier ce qui gêne, de secourir ce qui souffre, de relever ce qui se dégrade, de préserver et de rehausser la dignité commune. Ces obligations n’ont rien d’arbitraire, elles font partie du droit qu’on exerce, et ne sauraient s’en séparer. Une liberté sérieuse ne se fonde et ne se maintient qu’à la charge de s’étendre et de profiter à tous. Telle est la vue supérieure qui devrait prévaloir quand on parle de la Grande-Bretagne et de la condition de ses habitans. Cette vue n’est pas dans le livre de Faucher suffisamment accusée, et quand elle se montre, elle est submergée dans les détails. Nul plus que l’auteur n’en connaissait le prix ; son caractère en est le garant, et sa vie le prouve. Le temps où il écrivait explique seul cette réticence volontaire. Entre l’Angleterre et nous il n’existait alors que des analogies, et l’on pouvait regarder de moins près à ce que les deux pays empruntent de force et de vertu aux institutions. Depuis que les contrastes ont commencé, il est bon de rappeler, quand l’occasion s’en présente, que dans l’ordre des influences les principes sont seuls déterminans, et que tôt ou tard les faits s’y subordonnent. Les faits passent, les principes persistent, à l’honneur et à l’avantage des peuples qui y sont restés fidèles.


II

On a vu qu’en renonçant à la direction d’un journal, Léon Faucher s’était promis de ne rentrer dans la politique active que par la chambre. Cette ambition n’avait rien d’excessif, soutenu qu’il était par la conscience des services qu’il pourrait rendre ; elle pouvait passer pour prématurée sous le rapport des chances à courir. On n’entrait pas alors de plain-pied dans le monde parlementaire. Il fallait pour en forcer les portes, ou un grand nom que se disputaient tous les collèges, ou une position bien établie dans un collège déterminé. L’appui du gouvernement n’avait qu’une médiocre valeur ; l’appui d’un parti ne se donnait pas à l’aventure et sans conditions. Pour les candidats qui n’avaient ni une autorité acquise, ni une position locale, ni un patronage influent, l’entreprise était pleine de difficultés. Chaque élection demandait à être traitée à part, étudiée dans ses élémens, conduite par des moyens particuliers. Rien n’y ressemblait aux surprises que nous donne le suffrage universel, ce curieux instrument qui, en changeant de mains, passe des mouvemens les plus désordonnés à une précision presque mécanique. On était en présence de censitaires moins nombreux et plus susceptibles qui, dans un mélange d’opinions et de calculs, ne négligeaient pas, il est vrai, ce qu’un député pourrait leur valoir, mais cher-