Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

projets à un ajournement indéfini. Par l’avènement d’un nouveau régime, la presse politique allait être privée de ses meilleurs soutiens ; les uns entraient dans le gouvernement, les autres, désarmant après la victoire, ne se sentaient pas le goût de combattre ce qu’ils avaient contribué à fonder. Il fallait combler ces vides ; c’était un coup de fortune pour les aspirans, qui abondent en pareil cas. Des ouvertures furent faites à Léon Faucher : il entra dans le journal le Temps, et y eut bientôt marqué sa place. Ses premiers travaux embrassèrent une grande variété de sujets, l’histoire, les beaux-arts, la philosophie ; il y montra un jugement exercé, une érudition choisie, unis à un style ferme, précis et sobre. Quelques excursions dans le domaine de la politique ne furent pas moins goûtées ; il avait le ton, la mesure, la promptitude de coup d’œil qui conviennent. La vocation l’emporta de ce côté ; pendant douze ans, il resta attaché à divers journaux, soit comme rédacteur principal, soit comme rédacteur en chef : fonctions enviées et à un certain degré dignes d’envie, surtout à l’époque où elles échurent à Faucher, mais en même temps bien délicates pour un caractère comme le sien. Il était et voulait rester l’homme de son journal, responsable devant l’opinion, répugnant à s’infliger ces démentis qui sont la monnaie courante de la polémique quotidienne. Si de tels scrupules honorent un homme, ils lui sont en même temps un embarras. Aussi le publiciste eut-il souvent à se défendre contre ses amis et à soutenir ces luttes intestines où l’indépendance d’un organe politique est aux prises avec les influences et les intérêts qui en sont l’appui.

Dans le cours d’une de ces épreuves, il eut une inspiration malheureuse, trop liée au récit de sa vie pour qu’il soit possible de l’en séparer. On y verra ce que c’est qu’une spéculation de presse, même pour un talent aussi avéré que le sien. Il répugnait à Faucher d’être au service et à la merci d’autrui : d’un côté, il ne se sentait pas assez libre ; de l’autre, il ne lui était pas indifférent de faire de sa plume l’instrument de sa propre fortune. Ce calcul le conduisit à fonder une feuille qui fût bien à lui. Ses prétentions ne pouvaient, avec les moyens dont il disposait, s’élever bien haut ; il se contenta d’une périodicité hebdomadaire, dans l’espoir qu’un prix très réduit et un enseignement approprié lui vaudraient la clientèle des classes moyennes. Pour les premiers fonds, il fit un appel à ses amis de Paris et de Toulouse, et malgré l’insuffisance de ces ressources il passa outre : c’était pour lui, comme il le disait dans l’exaltation d’une vanité un peu naïve[1], ce qu’avait été pour César la conquête du Pont ; il s’agissait de vaincre à première vue. L’événement

  1. Correspondance avec M. Beaufer de, Toulouse, dont l’affection dévouée ne se démentit pas.