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et une séparation volontaire eut lieu. Quoique bien jeune, Léon Faucher avait pu juger de quel côté étaient les torts ; il prit résolument le parti de sa mère, laissée dans le dénûment et l’abandon. Point de ressources, point d’autres moyens d’existence que quelques travaux d’aiguille poursuivis dans de longues veillées. L’enfant comprit qu’en sa qualité d’aîné les devoirs de chef de famille retombaient en partie sur lui ; il avait quatorze ans quand il accepta cette charge pour la remplir du mieux qu’il put. Tout était précoce chez lui, l’intelligence, la raison et une sorte d’austérité qui de sa physionomie passait dans ses actes. Déjà aussi il était animé de cette passion du travail qui ne devait l’abandonner à aucune époque de sa vie. Comment venir au secours de cette mère qui s’épuisait, pour elle et pour les siens, en efforts presque désespérés ? À son âge, les moyens de se suffire étaient bien bornés ; Léon Faucher en trouva pourtant. Les cours gratuits du collège employaient une partie de son temps ; il disposa du reste et prit sur ses nuits ce que ses jours lui refusaient. Il dessinait avec quelque facilité ; dans ses heures libres, il traça des festons pour les brodeuses et parvint à gagner ainsi jusqu’à 3 francs par jour. Voilà par quel apprentissage il dut passer. La destinée ne lui souriait guère ; il ne connut de l’enfance ni les joies, ni les caresses ; son adolescence allait être un duel opiniâtre contre le besoin. Dans de telles épreuves, les caractères montrent jusqu’où va leur ressort : ou ils fléchissent, ou ils se trempent fortement. Léon Faucher s’en tira à son honneur ; l’impression de ses premières années fut aussi saine que profonde : il y puisa en grande partie le sens moral, la dignité personnelle, l’application soutenue et la vigueur de volonté qui devaient l’élever par degrés de la condition la plus modeste aux positions les plus honorées et les plus enviées.

Malgré ces troubles domestiques et ces déplacemens répétés, l’éducation du jeune Faucher avait suivi son cours, et non sans succès. Le légitime orgueil de bien faire l’animait plus que les remontrances et les conseils ; il sentait d’ailleurs que dans la pénurie commune c’était de là que viendrait le salut. Il prit au collège de Toulouse, et dès le début, un rang qu’il sut maintenir durant toute la période scolaire ; un seul travers s’y mêla, travers singulier pour le futur économiste : à onze ans, il avait la passion des vers. Son père lui rendit au moins le service de l’en guérir en brûlant ses premiers essais. Les humanités furent si solides et si brillantes qu’élève de seconde, Faucher fut admis dans une institution comme répétiteur, et le peu qu’il y gagnait devint une précieuse ressource pour la famille. Ses frères grandissaient ; il fallut être leur directeur et leur soutien, achever leur éducation, leur ouvrir des carrières : embarras successifs auxquels s’ajoutaient les siens propres, et qui souvent le prenaient au dépourvu. C’étaient autant de défis que le sort lui