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En ce qui touche la législation civile, réglée par le Koran et suivie dans tous les pays musulmans, à part de légères variations de jurisprudence, il n’y avait rien à innover. Schamyl ne pouvait se proposer d’autre mission que de faire prévaloir le scharyat sur la loi traditionnelle (adat ), et cette mission, il l’accomplit avec zèle par la proscription de l’adat comme offensant la volonté de Dieu et du prophète. Les Russes, en se substituant à lui vis-à-vis des montagnards, ont pris à tâche de remettre en vigueur ces antiques coutumes toujours chères au peuple, et en cela il faut voir un trait de politique habile, puisque l’adat est contraire à l’influence de l’islamisme, le plus énergique ressort de la résistance qu’ils ont rencontrée. La législation pénale seule reçut quelques modifications, mais d’un caractère purement réglementaire. Une amende en argent, — à défaut d’argent, en produits du sol, — proportionnée d’ailleurs à la nature du délit, punissait la violation des préceptes du scharyat et des ordres de l’imâm. Elle était double lorsque le voleur était pris en flagrant délit ; une moitié était attribuée à la personne lésée, l’autre moitié au trésor public. Contre les fautes plus graves, il y avait l’emprisonnement et la séquestration dans un souterrain ; l’adultère, le meurtre, la trahison ou l’espionnage étaient passibles de la peine de mort par la décollation, ou quelquefois, pour les murides, par la fusillade ou le poignard. Afin d’empêcher les relations secrètes avec l’ennemi, la population de la Tchetchenia avait été divisée en dizaines, chacune solidairement responsable pour tous ses membres ; en cas de trahison ou de fuite de l’un d’eux, une amende de 50 roubles était infligée à la dizaine dont il faisait partie, sans préjudice de la peine de mort pour le coupable, s’il était arrêté.

Les revenus publics provenaient de diverses sources : 1° la dîme du produit de chaque propriété foncière (zekat), 2° la capitation sur les familles, 3° la cinquième partie (khoums) du butin fait sur l’ennemi, 4° les amendes et les confiscations. La comptabilité était tenue par le trésorier de Schamyl, Khadjio ; elle n’était pas, comme on peut facilement le supposer, des plus compliquées : Khadjio se bornait à enregistrer les recettes et les dépenses sur des morceaux de papier qu’il serrait dans un coffre et qui servaient ensuite à établir les comptes définitifs. De cette manière les dépenses étaient faites assez régulièrement, et la caisse publique, comme la caisse particulière de l’imâm, suffisamment garantie contre toute tentative de soustractions.

La seule monnaie qui ait cours au Caucase oriental est la monnaie russe, principalement celle d’argent. Les pièces d’or, comme les demi-impériales et les ducats dits de Hollande, sont mises en réserve pour la parure des femmes. Quant aux pièces de billon ou aux roubles-assignats, les montagnards cassent les premières, lorsqu’elles