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connaissance depuis sa captivité, les a démentis formellement, en donnant des détails précis sur sa famille et sa naissance. Il vit le jour à Himry, vers le commencement de moharrem, premier mois de l’année musulmane, en 1212 de l’hégyre, date qui correspond à la fin de juin 1797. Par conséquent il est maintenant dans sa soixante-quatrième année, ou dans sa soixante-septième, comme il le dit lui-même, en comptant par années lunaires. Son père, Dengau-Mohammed, avait le rang d’ouzden (homme libre ou noble) et une assez grande aisance qui lui venait de ses jardins ou vergers. Sa mère, Bakhou-Mécédou, était la fille d’un bek (prince) appelé Pir-Boudakh. Ils n’eurent, outre Schamyl, d’autre enfant qu’une fille, Fathime, qui fut mariée deux fois, et laissa du premier lit une fille, nommée aussi Mécédou ; deux enfans de cette dernière, un garçon, Mahomet, et une fille, Moumina, petits-neveux par conséquent de Schamyl, habitent encore en ce moment Himry. Fathime mourut tragiquement en 1839. Assiégé dans l’aoûl d’Akhoulgo, Schamyl. avait alors sa sœur auprès de lui ; il lui remit, ainsi qu’à chacune des femmes de son harem, un kindjal (poignard), en leur ordonnant de se donner la mort, ou, si elles n’en avaient pas le temps, de se précipiter dans le Koïçou, qui coule au pied d’Akhoulgo, plutôt que de tomber entre les mains des Russes. Fathime, fidèle aux injonctions de son frère, se jeta dans la rivière et périt engloutie dans la profondeur de ses eaux.

Les souvenirs de Schamyl sur son enfance ne remontent pas au-delà de sa quinzième année ; tout ce qu’il sait d’antérieur lui a été raconté par ses parens. Faible et maladif, ils n’épargnèrent aucun soin, aucun remède pour lui rendre la santé. Comme rien ne réussissait, ils eurent recours à un moyen que la médecine cabalistique des montagnards indique comme souverain, un changement de nom ; ils lui avaient donné à sa naissance celui d’Aly, ils l’appelèrent Schamyl[1], en souvenir du frère de sa mère. Dès lors il porta les deux noms de Schamyl-Aly ; mais le premier a prévalu et lui resta seul. Le hasard voulut que cette pratique superstitieuse eût un plein succès : peu à peu l’enfant acquit de la vigueur, et son tempérament devint sain et robuste. Les actes de sa vie de jeune homme qu’il se rappelle sont peu nombreux, mais le caractérisent

  1. Schamyl est la prononciation vulgaire du mot Schamouyl, qui n’est autre que le nom de Samuel, sous une forme arabe. Le titre qu’il prenait lorsqu’il était à la tête des montagnards est émir-el-mouménin we-imâm el-mouttakin, « le commandeur des croyans et l’imâm de ceux qui craignent Dieu. »