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considérer comme un présage funeste la présence dans la maison qu’habite un malade de matières d’or ou d’argent. À ce souvenir évoqué subitement, Fathime éperdue court dans une pièce voisine pour se débarrasser du fatal talisman ; mais il était trop tard, la vertu magique du pernicieux métal avait agi sur Schamyl : la fièvre se ralluma plus ardente que jamais, sa blessure de la poitrine se rouvrit, et il fut encore deux mois gravement malade. Enfin sa bonne constitution prit le dessus, peu à peu les forces lui revinrent, et les soins affectueux et habiles d’Abdoul-Aziz lui rendirent la plénitude de la santé.

Pendant qu’il gisait inactif sur son lit de douleur, les événemens avaient marché dans le Daghestan. Harcelés et pressés par des attaques continuelles, les montagnards n’avaient pu se passer d’un chef, et le vieux Mollah-Mohammed avait consacré Hamzat-Bek comme imam à la place de Gazy-Mollah. La cérémonie se fit avec une pompe solennelle à Irgana. En apprenant le choix de celui dans lequel il aurait pu voir avec envie un rival heureux, Schamyl montra combien son âme était peu accessible à ces sentimens d’ambition qu’on lui a si souvent reprochés, combien ses intérêts personnels avaient peu de prix à ses yeux, pourvu qu’il lui fût permis de contribuer au succès de la pensée de toute sa vie, l’affranchissement de son pays et le triomphe de l’islamisme. Il fit éclater une joie vive et sincère de ce choix, qu’il regardait comme excellent. Aussitôt il se mit en route pour Himry, et, après avoir consacré quelques jours à ses affections de famille, il alla présenter ses félicitations au nouvel imam et mettre ses services, sans réserve, à sa disposition. Hamzat-Bek, appréciant toute la valeur de Schamyl et son immense influence sur les montagnards, certain en outre de sa loyauté et de son aversion pour toute intrigue tendant a le supplanter, Hamzat-Bek l’accueillit à bras ouverts, le nomma son lieutenant et le prit auprès de lui. Au dire de Schamyl, Hamzat-Bek l’emportait par sa bravoure sur tous les guerriers du Caucase ; mais, tel que nous le peint M. Rounovskii, c’était un homme d’une portée d’esprit médiocre, peu propre à la direction suprême des affaires, ignorant tout à fait l’art des combinaisons stratégiques, et incapable d’agir seul sans les conseils de Schamyl. Les escarmouches qu’il dirigea lui-même contre les Russes pendant les quelques mois qu’il fut au pouvoir étaient si mal concertées qu’il ne rencontrait jamais l’ennemi. Il avait résolu avant tout de se fortifier en s’emparant de l’Avarie, l’un des états du Daghestan, dont les khans avaient toujours repoussé le muridisine et inclinaient vers la Russie. Il marcha contre Khounzakh, capitale de ce pays, défendue par l’intrépide Bakou-Bika, veuve du dernier souverain, et ses trois fils. La ville fut prise d’assaut, et Bakou-Bika,