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spirituels ont pour base la formule sacramentelle de l’islamisme : La ilahi illa Allah (il n’y a de Dieu qu’Allah ), et consistent à prononcer les quatre mots de cette profession de foi par le cœur, le cerveau, l’épaule droite et la rate ou les poumons. Un savant voyageur russe, M. Nicolas de Khanikof, qui nous fournit ce résumé de la doctrine du muridisme, raconte que cette récitation bizarre se pratique de la manière suivante. L’adepte doit d’abord, en retenant son haleine, chasser de son cœur, organe de la pensée chez les musulmans, toute idée autre que celle de Dieu, et faire en sorte qu’il entende distinctement retentir dans son cœur le son la. Par un second effort d’imagination, il fera prononcer à son cerveau le mot ilahi, puis à l’épaule droite le mot illa) et à la rate ou aux poumons Allah. Il doit répéter le même acte de dévotion sans reprendre haleine, aussi souvent qu’il le peut. M. de Khanikof raconte qu’il a eu l’occasion de voir à Bokhara des gens qui prétendaient exécuter ce tour de force soixante-dix fois de suite en retenant leur respiration. Il ajoute qu’il ignore si ce temps était suffisant pour répéter ainsi mentalement soixante-dix fois le symbole musulman ; mais personne ne devait être tenté d’en faire autant sans une très grande habitude : il arrive en effet que des dévots, emportés au-delà des bornes du possible, paient cet excès de ferveur par une congestion qui les étouffe.

Du muridisme découlent dans l’ordre social et politique le dogme de l’égalité absolue de tous les hommes entrés dans la voie du salut, et par suite le néant de toute distinction ou prérogative entre eux. L’esprit républicain de ce dogme se prêtait trop bien aux habitudes démocratiques des clans montagnards pour ne pas gagner rapidement parmi eux de nombreux prosélytes. En quelques années, il les rallia tous dans la même pensée religieuse et dans un même sentiment de haine contre les giaours russes. À la classification des rangs, déterminée par la naissance, le pouvoir ou la richesse, il substitua une hiérarchie purement théocratique, dont les degrés correspondaient à ceux de l’avancement dans l’initiation : le scharyat était réservé au peuple, qui a besoin du frein de l’autorité extérieure, le tharikat aux disciples ou murides, qui, pour accomplir des actes méritoires, peuvent se passer de la sanction de la loi, le hakikat aux naïbs ou vicaires de l’imâm, et enfin le marifat à l’imâm ou pontife suprême.

C’est par un Boukharien appelé Gazi-Mahoma, homme d’une rare énergie, que le muridisme pénétra dans le Daghestan. Un mollah de Kurdomir, village du Schirvan, appelé Hadji-Effendi-Ismayl, le communiqua, sous la forme d’une révélation céleste, à un savant et vertueux kadhi, Mollah-Mohammed, de l’aoûl (village) de Yarakh.