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désagréable. Accueillie avec bienveillance, mais sans le moindre enthousiasme, Mlle Trebelli n’a produit sur le public parisien que l’effet d’une bonne écolière qui a encore bien des choses à apprendre, ne fût-ce qu’un peu de modestie. Que Mlle Trebelli n’oublie pas que nous sommes, à Paris, autrement difficiles à contenter qu’on ne l’est à Berlin, à Madrid, e altri sili. Quant à Mme Lorini, qui vient aussi de Bruxelles et de Berlin, où elle a été attachée au théâtre Vittoria, c’est une grande et belle personne, qui chante comme une Américaine qu’elle est. Elle nous est apparue dans le rôle de Semiramide, dont elle a au moins la taille imposante. La voix de Mme Lorini est un soprano étendu et flexible, qui a dû être remarquable dans la première période de sa carrière. Mme Lorini est cependant une cantatrice de talent. Que dire de M. Pancani, ténor un peu suranné, qui est revenu tout exprès de La Havane pour achever la saison du Théâtre-italien ? Ce que nous en avons déjà dit : qu’il a passé l’âge des amours, et que c’est un ténor di forza, comme on dit, qui manque de charme, si ce n’est de talent. Il est à désirer que M. le directeur du Théâtre-Italien prenne mieux ses mesures pour l’année prochaine, et qu’il ne soit pas obligé d’engager furtivement les premiers chanteurs venus qu’il trouve sous sa main. Une troupe composée de talens modestes, bien dirigée, bien disciplinée par des maestri intelligens et dévoués, vaudrait mieux et produirait des résultats plus satisfaisans qu’un ou deux virtuoses d’élite qu’on paie au poids de l’or et qu’on entoure de médiocrités insupportables. Pourquoi M. Calzado a-t-il laissé partir les Marchisio, qui sont Italiennes, pour nous donner Mlles Battu et Trebeïli, qui sont de Paris ?

Le Théâtre-Lyrique sue sang et eau, comme on dit, pour nouer simplement les deux bouts de la chaîne, et il n’y parvient que très difficilement. Après les Pêcheurs de Catane, après Madame Grégoire, deux ouvrages estimables qui n’ont pu se maintenir longtemps au répertoire, on a donné, le 8 mars, un opéra en un acte, les Deux Cadis, coup d’essai d’un jeune compositeur, M. Ymbert. Cet opéra révèle quelques qualités qui ont besoin d’être fécondées par une étude sérieuse de l’art. Nous avons remarqué dans cette petite partition, à côté de beaucoup de lieux-communs et de vieilles formules, un joli quatuor, ingénieusement intrigué, et une certaine grâce mélodique qui est un signe de bon augure pour l’avenir de M. Ymbert. Une tentative plus sérieuse a été faite au Théâtre-Lyrique le 6 avril : on y a représenté pour la première fois un opéra en trois actes et plusieurs tableaux, la Statue, qui a éveillé la sympathie publique. Les journaux, en général, ont accueilli l’œuvre de M. Reyer avec une grande faveur, et ce ne sera pas leur faute si la musique de la Statue n’est pas rangée immédiatement au nombre des rares inspirations qui font époque dans l’histoire de l’art. Voyons un peu.

Le libretto de MM. Jules Barbier et Michel Carré transporte la scène en plein Orient, au milieu des magnificences et des rêves enchantés des Mille et Une Nuits, d’où ils ont tiré leur sujet. Un jeune Arabe de la ville de Damas, Sélim, très riche et très voluptueux, s’ennuie, car il a épuisé, avec la