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à la faveur de son éloignement et de ses déserts, ne lui être que nominalement soumise. En même temps la puissante protection de cet empire la défendait contre les Parthes et les Perses, voisins dangereux : aussi voyons-nous Palmyre être une alliée fidèle de Rome dans les guerres contre ces peuples ; mais le titre de colonie, les souvenirs d’Odenath et de Zénobie, épisode le plus dramatique de son existence, tous ces liens qui rattachent son histoire à celle des Romains, ne doivent pas nous tromper sur le vrai caractère de cette cité. On est trop généralement tenté de la considérer comme une ville romaine. Il n’en est rien. Sous Adrien, elle accepta le nom d’Adrianopolis et se laissa décorer par cet empereur de magnifiques édifices ; mais elle conserva ses lois et son sénat, choisi par le peuple. Une autre preuve démontre que, si les conquérans du monde s’en emparèrent, ils ne purent y laisser, comme à Djerash, leur forte empreinte. Parcourez les ruines, vous n’y trouverez pas trace de théâtre ou de cirque. Or les Romains, en asservissant les nations lointaines, apportaient, en échange de la liberté, leurs jeux, leurs spectacles, leurs combats de gladiateurs. C’est le propre de tout despotisme de rechercher l’amitié de la populace. En même temps qu’ils maintenaient les vaincus sous leur domination par les armes, ils les corrompaient par les plaisirs.

Rien de semblable à Palmyre. La vraie cause de la perte de sa liberté est la splendeur éphémère qu’elle dut aux règnes aventureux. d’Odenath et de Zénobie. Si, au lieu de s’élever au rang de capitale de l’Orient, elle se fût tenue au rôle plus modeste que la nature lui avait assigné, celui d’entrepôt commercial et de boulevard de l’empire contre les Perses, les Romains ne l’auraient pas frappée, elle aurait conservé quelques siècles de plus sa brillante existence. Malheureusement la résistance désespérée de Zénobie, la révolte des Palmyréniens vaincus, qui massacrèrent la garnison romaine après le départ de l’armée, apprirent à Aurélien que la destruction d’une telle forteresse, l’extermination ou l’asservissement de ses fiers habitans, étaient nécessaires à la domination impériale en Syrie, car, située si loin de Rome, si près de la Perse, elle eût offert à tout rebelle, dans un temps où chaque général d’année aspirait à l’empire, un refuge sûr et facile. Sa liberté perdue, ses richesses pillées, son ancienne population décimée, le commerce et la grandeur dont la base était l’indépendance ne s’y relevèrent plus. C’est en vain que Dioclétien rebâtit les murs de Palmyre ; la suite de son histoire est celle d’une longue agonie. Après la conquête arabe, elle resta une ville forte, destinée à protéger la route commerciale entre Ragdad et Damas et à tenir en respect les tribus nomades. En 1519, les Turcs la prirent ; depuis ce temps, le mauvais gouvernement de ce peuple a laissé l’antique cité dépérir jusqu’au point où elle est aujourd’hui.